Étiquette : Politique canadienne

  • Fantasmes d’indépendance et vérités coloniales

    Fantasmes d’indépendance et vérités coloniales

    L’Alberta veut se séparer. Encore. Et cette fois, c’est plus bruyant que d’habitude.

    Le dernier retour en force du séparatisme de l’Ouest — que certain·es commencent à brandir comme un vrai projet de référendum — prend de l’ampleur. Des politicien·nes testent le terrain. La première ministre ne l’écarte pas. Et, sans surprise, on ressort le Québec comme modèle à suivre.

    Mais je vais être clair dès le départ : je ne défends pas le Canada. Je n’ai aucune fidélité envers cette fédération. Je ne crois pas que les États doivent être sauvés — pas celui-là, ni aucun autre. Je ne pense pas qu’un projet de société passe par une autre constitution, un autre drapeau, une autre frontière. Je suis abolitionniste. Et comme personne noire, queer, né en Ontario et élevé au Québec, je sais très bien que le nationalisme est souvent juste une autre forme de domination, emballée dans un beau récit.

    C’est exactement pour ça que les prétentions séparatistes de l’Alberta ne me semblent pas radicales. Elles me semblent réactionnaires.

    Oui, le nationalisme québécois est traversé par le colonialisme, l’anti-Noirceur, la xénophobie. Il a ses violences, ses exclusions, ses angles morts. Mais il s’appuie, malgré tout, sur quelque chose : une langue, une culture, une mémoire collective forgée par des siècles d’assimilation forcée. Ça n’excuse rien. Mais ça explique quelque chose.

    L’Alberta n’a pas ça.

    Il n’y a pas de langue menacée. Pas de système de parenté marginalisé. Pas de récit culturel effacé par l’État canadien. Il y a du pétrole. De la colère. Du ressentiment. Et un rapport au pouvoir forgé par le privilège et l’extractivisme.

    L’Alberta ne cherche pas à fuir l’oppression. Elle cherche à éviter la reddition de comptes.

    C’est pas un projet de liberté. C’est une crise de nerfs d’une province qui ne veut plus entendre “non”. Une province qui, depuis toujours, profite d’un pouvoir politique démesuré, de subventions fédérales massives et d’un statut à part dans l’imaginaire colonial. Et maintenant que le monde change, que la crise climatique rend l’immobilisme impossible, l’Alberta ne veut pas s’adapter. Elle veut se retirer.

    Elle ne cherche pas l’émancipation. Elle réclame l’exemption.

    Et quand l’Alberta utilise le Québec comme justification — comme précédent historique — elle révèle le fond de sa démarche : il n’y a pas de culture à défendre, juste des intérêts à préserver. Parce que malgré tout, au Québec, il existe une langue. Une littérature. Une mémoire. Un récit collectif, même s’il est souvent toxique pour les personnes noires et autochtones. En Alberta, ce qu’on veut protéger, ce sont les pipelines et les profits. Rien de plus.

    C’est pas de la décolonisation. C’est une colonie qui refuse de partager.

    Le séparatisme albertain recycle les codes des luttes de libération pour renforcer sa domination. Il imite les rhétoriques de résistance tout en défendant exactement ce qui détruit nos mondes. Et c’est là que c’est dangereux : ça se donne des allures d’anticolonialisme, mais c’est juste du néocolonialisme mal déguisé.

    Comme personne qui a vécu dans le ventre du nationalisme québécois, qui a survécu à la violence symbolique et matérielle de l’État canadien, je ne confonds plus jamais un nouveau pays avec un projet de justice. J’ai vu comment les États se bâtissent — et qui ils laissent mourir en chemin. J’ai appris que toutes les sorties ne mènent pas vers la liberté.

    Être abolitionniste, ça ne veut pas dire sauver le Canada. Mais ça veut pas dire célébrer toutes les séparations non plus — surtout quand elles viennent de ceux qui ont déjà tout, et qui veulent garder le reste.

    Alors non, je ne vais pas romantiser les rêves séparatistes de l’Alberta. Je ne vais pas les laisser réécrire l’histoire avec le Québec comme caution. Et je ne vais pas prétendre que ce projet est libérateur alors qu’il est fondé sur la peur de perdre du pouvoir.

    L’Alberta ne cherche pas à échapper à l’oppression. Elle cherche à la protéger.

    Et certain·es d’entre nous refusent de faire semblant de pas le voir.

  • Après l’élection : Aucun salut, aucune victoire, seulement notre travail

    Après l’élection : Aucun salut, aucune victoire, seulement notre travail

    Ce soir, l’élection a confirmé ce que nous savons déjà : ce pays est en train de se désagréger sous son propre poids.

    Mark Carney, incarnation du capitalisme financier maquillé en stabilité, a remporté un gouvernement minoritaire. Non pas par enthousiasme populaire, mais parce que beaucoup ont eu peur de lâcher la dernière illusion d’ordre. Ce gouvernement de technocrates n’administrera pas des solutions; il administrera des crises, en tentant de rafistoler un système en ruine avec les outils mêmes qui l’ont détruit.

    Le NPD, lui, s’est effondré.
    Pas seulement en nombre de sièges, mais en pertinence politique.
    À force de diluer leurs positions, de sacrifier les communautés qui leur avaient fait confiance, d’échanger des rêves d’émancipation contre des sièges à Ottawa, ils ont fini par devenir aussi insignifiants que ceux qu’ils prétendaient combattre. En cherchant l’approbation du centre blanc, ils ont perdu leur ancrage dans les luttes vivantes des personnes Noires, Autochtones, racisées, queer, handicapées et ouvrières.

    Quant à Poilievre, son échec personnel — la perte de son siège — ne doit tromper personne.
    La droite réactionnaire qu’il a nourrie est toujours en expansion.
    Son départ ouvre un espace qui sera comblé par des figures encore plus radicalisées, encore plus brutales.
    La montée du fascisme au Canada ne s’arrête pas avec la chute d’un homme ; elle continue, plus déchaînée, plus ouverte.

    Ce que révèle cette élection, ce n’est pas un virage historique.
    C’est la continuation d’un lent effondrement : celui d’un État colonial bâti sur la dépossession des peuples autochtones, l’asservissement des Noir·es et l’exploitation des migrant·es. Un État qui se présente encore comme une démocratie, alors qu’il ne fait que gérer les ruines d’un projet condamné.

    Ce soir, il n’y avait rien à sauver.
    Parce que ce qui détruit nos vies — les frontières, la police, les prisons, la logique de propriété, le racisme structurel — n’était même pas remis en question.

    En tant que personne Noire, queer, abolitionniste, je n’ai pas voté pour l’espoir.
    Je n’ai pas voté pour le désespoir non plus.

    Je me tiens là où je me suis toujours tenu : du côté des survivant·es et des bâtisseur·euses d’autres mondes.
    Parce que nous savons que l’Empire ne tombera pas pour nous. Il tombera sur nous, si nous ne sommes pas prêt·e·s.

    Notre travail n’a jamais dépendu des urnes.
    Il se construit dans les réseaux d’entraide.
    Dans les solidarités concrètes entre Noir·es, Autochtones, personnes racisées, migrant·es, queers.
    Dans la préservation de nos mémoires contre l’effacement.
    Dans l’imagination radicale, qui refuse de limiter nos vies aux décombres qu’on nous laisse.

    Nous sommes les héritier·ères des marronnages, des fugues, des solidarités clandestines.
    Nous sommes les futur·es bâtisseur·euses d’infrastructures de survie qui n’auront jamais besoin de reconnaissance étatique pour exister.

    Ce soir, Carney n’a rien gagné.
    Poilievre n’a rien perdu.
    Le NPD n’avait déjà plus rien à offrir.

    Mais nous, nous sommes encore là.
    Nous persistons, malgré et contre tout.

    Pas de salut venu d’en haut.
    Pas de miracles électoraux.

    Seulement nos mains.
    Nos voix.
    Nos solidarités.

    Et tout ce que nous construirons ensemble, contre leurs ruines.