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  • Ce que la blancheur pleure quand une plantation brûle

    Ce que la blancheur pleure quand une plantation brûle

    Quand la plantation Nottoway a brûlé, ce n’est pas juste un bâtiment qui s’est effondré — c’est tout un fantasme blanc qui est parti en fumée. Et dans les cendres, quelque chose est remonté à la surface : une tristesse blanche. Pas pour les personnes réduites en esclavage. Pas pour les vies brisées sur cette terre. Non. Ce qui a été pleuré, c’est le lieu. L’endroit. Le décor.

    Un lieu de photos de mariage. Un « souvenir inoubliable ». Un arrière-plan romantique pour célébrer l’amour, effaçant les cris qui ont marqué chaque brique de cette maison.

    Et comme travailleur social, habitué à écouter les deuils, je le dis franchement : ce chagrin-là en dit long. Il révèle tout ce qu’il y a à savoir sur le rapport entre la blancheur, la mémoire, et la propriété.

    Le mariage sur plantation : l’art de l’oubli

    Choisir une plantation pour s’unir, ce n’est pas une décision neutre. C’est un choix qui transforme un lieu de souffrance en carte postale. C’est ignorer sciemment l’histoire — ou pire, la recycler pour en faire du beau. Ce n’est pas une perte de mémoire, c’est une mise en scène. Une esthétique de l’effacement.

    Et quand ce décor s’effondre, quand le fantasme se consume, les larmes coulent. Mais pas pour les bonnes raisons. Ce n’est pas l’histoire qui est pleurée. C’est l’illusion de confort qui disparaît.

    La peine blanche comme logique sociale

    Ce deuil, ce n’est pas une erreur. C’est une structure. Une manière de maintenir l’antinégritude au cœur de la société. En termes afropessimistes, ce chagrin révèle une vérité fondamentale : la vie blanche se construit sur la mort noire. Littéralement.

    Le deuil n’est pas dirigé vers ce que la plantation représente — il en fait abstraction. La souffrance noire n’est jamais le sujet. Elle est le décor. Le bruit de fond. L’ambiance.

    Et quand ce décor brûle, ce n’est pas la violence historique qui est pleurée. C’est la perte du confort qu’elle procurait.

    Ce que le deuil nous apprend

    Comme travailleur social, j’écoute les deuils. Tous ne se ressemblent pas. Certains sont profonds, bouleversants, sincères. D’autres sont creux, possessifs, pleins d’oubli.

    Celui qui a suivi l’incendie de Nottoway appartient à cette deuxième catégorie. Il ne pleure pas des vies, il pleure un privilège. Il ne dit pas : regardons ce que cette terre a enduré. Il dit : c’était à nous. Pourquoi nous l’a-t-on enlevé ?

    Ce n’est pas du deuil. C’est une tentative de garder la main sur le récit.

    L’incendie n’est pas la tragédie

    La vraie tragédie, ce n’est pas que la plantation ait brûlé.

    C’est qu’elle ait existé aussi longtemps. Qu’elle ait été transformée en hôtel, en salle de réception, en attraction touristique. Qu’on y ait célébré l’amour sans jamais honorer les morts. Qu’elle ait été rénovée plutôt que transformée en lieu de mémoire, de réparation, de vérité.

    Et la tragédie, c’est que certain·es croient encore que c’est le feu qui l’a salie.

    Ce que je refuse de pleurer

    Je ne pleure pas la plantation. Je ne la pleurerai jamais.

    Je pleure les enfants noirs sans sépulture. Les révoltes effacées. Les mémoires muselées. Les descendants à qui l’on a demandé de se taire. Les visages qui n’ont jamais eu le droit de hanter.

    Je pleure ce que la blancheur refuse de voir. Ce qu’elle refuse de porter. Ce qu’elle refuse de laisser partir.

    Mais une plantation n’est pas une perte.

    Son incendie, c’est une justice en flammes.

  • Après l’élection : Aucun salut, aucune victoire, seulement notre travail

    Après l’élection : Aucun salut, aucune victoire, seulement notre travail

    Ce soir, l’élection a confirmé ce que nous savons déjà : ce pays est en train de se désagréger sous son propre poids.

    Mark Carney, incarnation du capitalisme financier maquillé en stabilité, a remporté un gouvernement minoritaire. Non pas par enthousiasme populaire, mais parce que beaucoup ont eu peur de lâcher la dernière illusion d’ordre. Ce gouvernement de technocrates n’administrera pas des solutions; il administrera des crises, en tentant de rafistoler un système en ruine avec les outils mêmes qui l’ont détruit.

    Le NPD, lui, s’est effondré.
    Pas seulement en nombre de sièges, mais en pertinence politique.
    À force de diluer leurs positions, de sacrifier les communautés qui leur avaient fait confiance, d’échanger des rêves d’émancipation contre des sièges à Ottawa, ils ont fini par devenir aussi insignifiants que ceux qu’ils prétendaient combattre. En cherchant l’approbation du centre blanc, ils ont perdu leur ancrage dans les luttes vivantes des personnes Noires, Autochtones, racisées, queer, handicapées et ouvrières.

    Quant à Poilievre, son échec personnel — la perte de son siège — ne doit tromper personne.
    La droite réactionnaire qu’il a nourrie est toujours en expansion.
    Son départ ouvre un espace qui sera comblé par des figures encore plus radicalisées, encore plus brutales.
    La montée du fascisme au Canada ne s’arrête pas avec la chute d’un homme ; elle continue, plus déchaînée, plus ouverte.

    Ce que révèle cette élection, ce n’est pas un virage historique.
    C’est la continuation d’un lent effondrement : celui d’un État colonial bâti sur la dépossession des peuples autochtones, l’asservissement des Noir·es et l’exploitation des migrant·es. Un État qui se présente encore comme une démocratie, alors qu’il ne fait que gérer les ruines d’un projet condamné.

    Ce soir, il n’y avait rien à sauver.
    Parce que ce qui détruit nos vies — les frontières, la police, les prisons, la logique de propriété, le racisme structurel — n’était même pas remis en question.

    En tant que personne Noire, queer, abolitionniste, je n’ai pas voté pour l’espoir.
    Je n’ai pas voté pour le désespoir non plus.

    Je me tiens là où je me suis toujours tenu : du côté des survivant·es et des bâtisseur·euses d’autres mondes.
    Parce que nous savons que l’Empire ne tombera pas pour nous. Il tombera sur nous, si nous ne sommes pas prêt·e·s.

    Notre travail n’a jamais dépendu des urnes.
    Il se construit dans les réseaux d’entraide.
    Dans les solidarités concrètes entre Noir·es, Autochtones, personnes racisées, migrant·es, queers.
    Dans la préservation de nos mémoires contre l’effacement.
    Dans l’imagination radicale, qui refuse de limiter nos vies aux décombres qu’on nous laisse.

    Nous sommes les héritier·ères des marronnages, des fugues, des solidarités clandestines.
    Nous sommes les futur·es bâtisseur·euses d’infrastructures de survie qui n’auront jamais besoin de reconnaissance étatique pour exister.

    Ce soir, Carney n’a rien gagné.
    Poilievre n’a rien perdu.
    Le NPD n’avait déjà plus rien à offrir.

    Mais nous, nous sommes encore là.
    Nous persistons, malgré et contre tout.

    Pas de salut venu d’en haut.
    Pas de miracles électoraux.

    Seulement nos mains.
    Nos voix.
    Nos solidarités.

    Et tout ce que nous construirons ensemble, contre leurs ruines.