Catégorie : Théorie

  • Le mauvais deuil

    Le mauvais deuil

    Qui a le droit de pleurer en public — et qui ne l’a pas

    C’était calme au début. Juste quelques-un·es d’entre nous, allongé·es sur le béton froid devant l’Université McGill Keffiehs pliés. Corps disposés non pas pour le spectacle, mais pour le deuil.
    Le die-in n’était pas fait pour devenir viral. Il voulait dire ce que le système refuse de nommer :
    Gaza est en train d’être effacée.
    Et les travailleur·ses de la santé savent depuis toujours à quoi ressemble un génocide.

    Je me souviens du poids de ma propre respiration.
    Pas lourde. Pas dramatique. Juste là.

    Quelqu’un est passé et a pris une photo sans demander. Un autre a continué sa route comme si on n’était même pas là.
    Quand on s’est relevé·es, rien n’avait changé. Ni dans la rue. Ni dans les nouvelles.
    Mais quelque chose s’était déposé dans ma poitrine. Et ne m’a jamais quitté.

    Parce qu’on ne s’allongeait pas seulement pour Gaza.
    On s’allongeait avec la conscience que notre deuil ne sera jamais reconnu comme un deuil.

    Pas quand il est noir.
    Pas quand il est queer.
    Pas quand il est lié à la Palestine, aux vies trans, à la violence de l’État.

    Ce genre de deuil ne reçoit pas de bougies.
    Il reçoit la police.
    Pas de communiqués.
    Du silence.

    Et parfois, si on n’y prend pas garde, il se retourne contre nous.
    On nous fait croire qu’on est trop.
    Qu’on est le problème.
    Qu’on pleure mal.

    Le deuil noir perçu comme menace

    Le deuil noir n’a jamais été vu comme un deuil.
    Il est perçu comme de la colère.
    Comme un danger.
    Comme quelque chose à contrôler.

    Une vigile pour une vie noire devient un incident policier.
    Une manifestation devient une émeute.
    Une mère pleure à la télé et la discussion vire sur les vitrines cassées.

    Ce n’est pas nouveau.
    Mais ce n’est pas moins violent.

    Même dans les espaces dits progressistes — les organismes de santé, les coalitions militantes, les collectifs queer — il y a des règles invisibles :
    Ne pleure pas trop fort.
    Ne dis pas les choses trop crûment.
    Ne dérange pas.

    Je les ai senties, ces règles.
    On m’a dit que j’étais trop émotif pour avoir nommé ce qui faisait mal.
    Qu’il fallait que je revienne quand je serais plus calme.
    Comme si le deuil devait être raisonnable pour être réel.

    Mais le deuil noir n’appartient pas aux institutions.
    Il n’a pas besoin d’être propre.
    Il n’a pas besoin d’être approuvé.
    Il se manifeste là où il le faut :
    Dans la cuisine. Dans les escaliers. Dans la rue. Dans les silences d’après la réunion.

    Et c’est peut-être pour ça qu’il fait peur.
    Parce qu’on ressent encore.
    Parce qu’on tient encore.
    Parce qu’on refuse d’oublier.

    Dans un monde qui cherche à nous effacer, pleurer devient une forme de résistance.

    Le deuil palestinien et la politique du déni

    Si le deuil noir est vu comme une menace, le deuil palestinien est nié.
    Ou encore : criminalisé.

    Depuis des mois, on voit le deuil devenir un champ de bataille.
    Des vigiles interdites.
    Des drapeaux saisis.
    Des photos d’enfants tué·es jugées trop politiques, trop choquantes, trop dérangeantes.

    Comme si pleurer était une agression.

    On nous dit que la mort à Gaza est tragique, mais surtout — pas de cercueils dans les rues.
    Pas de posters.
    Pas de noms récités.
    On nous dit : ce n’est pas du deuil, c’est de la propagande.

    Mais qui décide ce qui est un deuil acceptable ?
    Qui décide que certaines douleurs sont trop provocantes pour être dites ?

    Les mêmes États qui financent les bombes exigent notre silence.
    Ils veulent un deuil discret, qui ne dérange pas l’ordre établi.

    Mais le deuil palestinien déborde.
    Il descend dans les rues.
    Il s’écrit sur les murs.
    Il se crie dans les chants.

    Il insiste pour exister, même quand le monde détourne les yeux.

    Et cette insistance, elle résonne.
    Parce que pour nous — les personnes noires, queer, déplacées — elle est familière.
    On sait ce que ça fait de pleurer et de se faire dire que c’est trop.

    Pourtant, on continue de pleurer.
    Ensemble.
    En public.
    Sans s’excuser.

    Le deuil queer et les rituels du refus

    Les personnes queer ont toujours dû inventer leurs propres manières de pleurer.
    Personne ne nous a jamais fait de place.
    On l’a prise.

    Dans les clubs.
    Dans les ruelles.
    Dans nos bras.

    On a organisé des vigiles que personne n’a couvertes.
    On a porté des noms que personne n’a prononcés.
    On a mis des fleurs là où les corps ont été retrouvés — et où la police n’est jamais venue.

    C’est notre héritage.
    Pense à ACT UP et aux die-ins.
    Aux cendres apportées devant les institutions.
    Aux veillées qui étaient plus des cris que des cérémonies.

    Ce n’était pas juste du deuil.
    C’était un refus du silence.

    Et cet héritage continue.
    Il est là quand une vigile trans se tient dans un stationnement.
    Quand on allume une bougie pour quelqu’un qu’on n’a jamais connu, parce que personne d’autre ne le fera.
    Quand on écrit un nom en ligne parce qu’aucun média ne l’a fait.

    Le deuil queer n’a pas toujours l’air d’un deuil.
    Parfois il est maladroit.
    Parfois il est bruyant.
    Parfois il est juste deux personnes qui s’effondrent dans une salle de bain.

    Mais ce qui le rend puissant, c’est le refus.
    Refus de pleurer en silence.
    Refus d’adoucir la douleur.
    Refus de faire semblant qu’on n’est pas brisé·es.

    Il y a là-dedans une forme de soin.
    Pas celui qu’on apprend dans les manuels.
    Celui qui dit :
    “Je te vois. Je vais porter ça avec toi. Même si personne d’autre ne le fait.”

    Un deuil qui ne rentre pas dans le cadre

    J’ai été dans des espaces où je savais que je n’avais pas le droit de pleurer.
    Pas vraiment.
    Je pouvais parler, peut-être. Mais pas trop ressentir.
    Pas faire trembler la pièce.
    Pas dire quelque chose qui gêne.

    Parfois, le silence n’est même pas direct.
    C’est un regard qu’on évite.
    Une discussion qu’on détourne.
    Un silence gêné — pas respectueux, juste inconfortable.

    Je me souviens qu’on m’a dit que j’étais ben énervé pour avoir critiqué la surreprésentation de personnes noires dans un diaporama.
    Sans contexte.
    Sans données.
    Sans soin.

    Juste des images.
    Juste un effet visuel.

    Je n’étais pas fâché.
    Je pleurais.
    Je pleurais l’absence.
    Je pleurais la manière dont nos vies deviennent des accessoires dans des milieux qui prétendent nous inclure.

    Et même ça, c’était trop.

    On apprend à rapetisser notre deuil.
    À le rendre stratégique.
    À le rendre supportable.

    Et quand on ne peut pas le contenir, on nous dit qu’on est instables.
    Trop sensibles.
    Pas professionnels.

    Mais le deuil n’est pas censé rassurer.
    Ce n’est pas un moment passager.
    C’est une présence.
    Quelque chose qui reste dans le souffle, dans la posture, dans la peau.

    Il y a des jours où je le porte comme un brouillard.
    D’autres, comme un couteau.
    D’autres encore, il n’arrive qu’après : une fois le masque enlevé, la porte refermée.

    Mais je ne m’en excuse plus.
    Parce que j’ai compris que le deuil est une preuve.

    Que ressentir autant, même maintenant, veut dire qu’il me reste encore quelque chose.
    Qu’on ne m’a pas tout pris.

    Vers un deuil abolitionniste

    Il faut arrêter de croire que le deuil est valable seulement s’il est discret, propre, autorisé.

    Il faut arrêter de demander aux systèmes qui nous détruisent de reconnaître ce qu’ils causent.

    Le deuil abolitionniste n’attend pas d’approbation.
    Il ne cherche pas la réforme.
    Il ne performe pas la douleur pour convaincre.

    Il pleure selon ses propres règles — collectivement, sans permission, sans fin.
    Il ne presse pas la guérison.
    Il reste dans ce qui fait mal.
    Il laisse parler la blessure.

    Et ce n’est pas nouveau.

    Les peuples noirs et autochtones ont toujours su pleurer comme l’État ne saura jamais le permettre.
    Les Palestinien·nes portent le deuil à travers chaque génération.
    Les personnes trans organisent des rituels que jamais aucune Église ne bénira.

    On a toujours su faire l’impossible.
    Juste assez longtemps pour survivre.

    On n’a pas besoin que notre chagrin soit plus visible, plus acceptable, plus institutionnel.
    On a besoin qu’il soit entendu tel qu’il est.

    Parce que le deuil n’est pas ce qui nous brise.
    Ce qui nous brise, c’est de ne pas avoir où le déposer.
    Et ce qui nous répare — si quelque chose peut —
    c’est de savoir qu’on ne le porte pas seul·e.

    On pleure encore

    Il faut arrêter de croire que le deuil est valable seulement s’il est discret, propre, autorisé.

    Il faut arrêter de demander aux systèmes qui nous détruisent de reconnaître ce qu’ils causent.

    Le deuil abolitionniste n’attend pas d’approbation.
    Il ne cherche pas la réforme.
    Il ne performe pas la douleur pour convaincre.

    Il pleure selon ses propres règles — collectivement, sans permission, sans fin.
    Il ne presse pas la guérison.
    Il reste dans ce qui fait mal.
    Il laisse parler la blessure.

    Et ce n’est pas nouveau.

    Les peuples noirs et autochtones ont toujours su pleurer comme l’État ne saura jamais le permettre.
    Les Palestinien·nes portent le deuil à travers chaque génération.
    Les personnes trans organisent des rituels que jamais aucune Église ne bénira.

    On a toujours su faire l’impossible.
    Juste assez longtemps pour survivre.

    On n’a pas besoin que notre chagrin soit plus visible, plus acceptable, plus institutionnel.
    On a besoin qu’il soit entendu tel qu’il est.

    Parce que le deuil n’est pas ce qui nous brise.
    Ce qui nous brise, c’est de ne pas avoir où le déposer.
    Et ce qui nous répare — si quelque chose peut —
    c’est de savoir qu’on ne le porte pas seul·e.

    Fediverse Reactions
  • Ce que la blancheur pleure quand une plantation brûle

    Ce que la blancheur pleure quand une plantation brûle

    Quand la plantation Nottoway a brûlé, ce n’est pas juste un bâtiment qui s’est effondré — c’est tout un fantasme blanc qui est parti en fumée. Et dans les cendres, quelque chose est remonté à la surface : une tristesse blanche. Pas pour les personnes réduites en esclavage. Pas pour les vies brisées sur cette terre. Non. Ce qui a été pleuré, c’est le lieu. L’endroit. Le décor.

    Un lieu de photos de mariage. Un « souvenir inoubliable ». Un arrière-plan romantique pour célébrer l’amour, effaçant les cris qui ont marqué chaque brique de cette maison.

    Et comme travailleur social, habitué à écouter les deuils, je le dis franchement : ce chagrin-là en dit long. Il révèle tout ce qu’il y a à savoir sur le rapport entre la blancheur, la mémoire, et la propriété.

    Le mariage sur plantation : l’art de l’oubli

    Choisir une plantation pour s’unir, ce n’est pas une décision neutre. C’est un choix qui transforme un lieu de souffrance en carte postale. C’est ignorer sciemment l’histoire — ou pire, la recycler pour en faire du beau. Ce n’est pas une perte de mémoire, c’est une mise en scène. Une esthétique de l’effacement.

    Et quand ce décor s’effondre, quand le fantasme se consume, les larmes coulent. Mais pas pour les bonnes raisons. Ce n’est pas l’histoire qui est pleurée. C’est l’illusion de confort qui disparaît.

    La peine blanche comme logique sociale

    Ce deuil, ce n’est pas une erreur. C’est une structure. Une manière de maintenir l’antinégritude au cœur de la société. En termes afropessimistes, ce chagrin révèle une vérité fondamentale : la vie blanche se construit sur la mort noire. Littéralement.

    Le deuil n’est pas dirigé vers ce que la plantation représente — il en fait abstraction. La souffrance noire n’est jamais le sujet. Elle est le décor. Le bruit de fond. L’ambiance.

    Et quand ce décor brûle, ce n’est pas la violence historique qui est pleurée. C’est la perte du confort qu’elle procurait.

    Ce que le deuil nous apprend

    Comme travailleur social, j’écoute les deuils. Tous ne se ressemblent pas. Certains sont profonds, bouleversants, sincères. D’autres sont creux, possessifs, pleins d’oubli.

    Celui qui a suivi l’incendie de Nottoway appartient à cette deuxième catégorie. Il ne pleure pas des vies, il pleure un privilège. Il ne dit pas : regardons ce que cette terre a enduré. Il dit : c’était à nous. Pourquoi nous l’a-t-on enlevé ?

    Ce n’est pas du deuil. C’est une tentative de garder la main sur le récit.

    L’incendie n’est pas la tragédie

    La vraie tragédie, ce n’est pas que la plantation ait brûlé.

    C’est qu’elle ait existé aussi longtemps. Qu’elle ait été transformée en hôtel, en salle de réception, en attraction touristique. Qu’on y ait célébré l’amour sans jamais honorer les morts. Qu’elle ait été rénovée plutôt que transformée en lieu de mémoire, de réparation, de vérité.

    Et la tragédie, c’est que certain·es croient encore que c’est le feu qui l’a salie.

    Ce que je refuse de pleurer

    Je ne pleure pas la plantation. Je ne la pleurerai jamais.

    Je pleure les enfants noirs sans sépulture. Les révoltes effacées. Les mémoires muselées. Les descendants à qui l’on a demandé de se taire. Les visages qui n’ont jamais eu le droit de hanter.

    Je pleure ce que la blancheur refuse de voir. Ce qu’elle refuse de porter. Ce qu’elle refuse de laisser partir.

    Mais une plantation n’est pas une perte.

    Son incendie, c’est une justice en flammes.

  • Joie, survie et refus d’être brisé·e

    Joie, survie et refus d’être brisé·e

    Notes d’une nuit de performance et de résistance 

    Comme nous le rappelle Saidiya Hartman, la vie noire oscille toujours entre deuil et survie. Une tension qui se resserre encore plus pour les personnes queer et trans noires, dont l’existence même défie les règles imposées par l’ordre social. Dans un monde façonné par l’anti-négritude, où l’épuisement est programmé et où la joie est perçue comme un luxe, le plaisir noir devient un acte radical de refus. Une manière de bâtir un monde là où tout est fait pour nous en priver.

    C’est ce refus, cette réappropriation, qui m’a habité hier soir au Wiggle Room à Tiohtià:ke, lors d’un spectacle burlesque imprégné du langage du tarot et de la transformation. Ce qui s’y jouait n’était pas juste un enchaînement de numéros, mais des rituels—des actes incarnés de storytelling qui racontaient la précarité et les possibilités d’exister sous des structures qui veulent nous contenir.

    Chaque performance invoquait l’énergie d’une carte de tarot, un fil de mysticisme tissé dans le mouvement et la présence. La soirée était légère, ponctuée de rires et d’applaudissements, jusqu’à ce que Phoenix Inana monte sur scène. Contrairement aux autres, sa performance n’était pas du burlesque. C’était de l’art performatif, et ça exigeait le silence. Une rupture nette dans le rythme de la soirée.

    Phoenix incarnait Le Diable. Mais au lieu d’en faire une mise en garde contre la corruption, iel l’a transfiguré. Dans ses mains, ce n’était pas un symbole de damnation, mais une ouverture vers l’autodétermination. Phoenix a tissé Le Diable dans la figure de Lilith—un symbole d’insoumission, un corps qui échappe aux règles, un refus d’être dompté·e. Dans les récits dominants, Le Diable représente l’excès, l’abandon à la tentation. Mais sous la main de Phoenix, iel devenait tout autre chose : un seuil, une confrontation avec soi-même, un rejet des logiques morales qui ont toujours servi à discipliner celles et ceux qu’on qualifie de déviant·e·s. Son mouvement, mesuré et insoumis, incarnait ce que Mackey appelle une chorégraphie affective—une performance qui ne cherche pas le spectacle, mais l’insurrection. Une gestuelle qui refuse la discipline.

    Comme nous le rappelle Hortense Spillers, le corps, sous les ordres coloniaux et patriarcaux, est toujours déjà marqué pour être discipliné. Reprendre la figure du Diable—par Lilith, par le féminin rejeté—c’est refuser les fondements mêmes de cette discipline. La salle retenait son souffle pendant que Phoenix bougeait—délibéré·e, magnétique, parlant une langue au-delà des mots. Ce n’était pas une performance pour un public. C’était une invocation. Quelque chose d’incommensurable. Un face-à-face avec le désir, la honte, et toutes les façons dont on nous a appris à craindre notre propre faim—de plaisir, de liberté, de plus. Dans ce moment, Le Diable n’était plus un symbole de corruption, mais de possibilité. Une permission d’exister en dehors des contraintes qui nous sont imposées.

    Avant que la soirée commence, j’avais trouvé une carte de tarot sur mon siège—le Huit de Coupe. Je n’y avais pas trop prêté attention. Mais plus tard, en sortant dans l’air frais de la nuit, j’ai regardé sa signification. Le départ. Le choix de soi. L’acte, douloureux mais nécessaire, de s’éloigner. L’image de la carte—des coupes laissées derrière, une silhouette en mouvement—s’est déposée en moi.

    C’était une leçon que je connaissais déjà. Une qui revient toujours. Partir, ce n’est pas fuir. C’est ouvrir la possibilité d’un ailleurs. C’est refuser l’épuisement des institutions extractives et choisir à la place la possibilité queer noire. Dans l’après-vie de l’esclavage, où la vie noire est à la fois hyper-visible et jetable, partir n’est pas une simple métaphore—c’est un mode de survie. On quitte des institutions, des relations, des versions de nous-mêmes, parce que survivre exige de bouger.

    J’ai porté ce message avec moi en restant après le show, riant, respirant enfin, entouré·e de cette chaleur que seule la famille choisie peut offrir. L’espace entre nous—nos souffles, notre joie, notre plaisir dans l’instant—était un refus. Pas une échappatoire, pas une pause, mais une insurrection. Ces nuits n’existent pas en dehors de la lutte; elles s’y opposent frontalement. Elles rejettent les systèmes anti-noirs et capitalistes qui nous veulent épuisé·e·s, brisé·e·s, à bout.

    Ces espaces de performance, d’appartenance radicale, s’inscrivent dans une longue lignée de création de mondes queer noirs. L’un des exemples les plus durables en est le ballroom—un mouvement né de la nécessité, en réponse directe à l’exclusion anti-noire et anti-queer des espaces LGBTQ+ blancs du milieu du XXe siècle. Plus qu’un simple lieu de performance, le ballroom est devenu un espace de parenté, un monde où les normes de genre, de beauté et de realness ont été réinventées selon des termes noirs et latins.

    Le ballroom fonctionne comme un contre-public queer noir—une archive insurgée de survie, où la parenté se construit en dehors des logiques extractives du capitalisme. Un espace où l’esthétique du genre, de la performance et de l’appartenance est continuellement réécrite en temps réel. Et bien que le ballroom soit profondément enraciné dans l’histoire noire et latine, il est aussi devenu un refuge pour celles et ceux qui ont connu le déracinement, la résistance, et l’urgence de la famille choisie. En tant que Godmother Phoenix Inana Sankofa LaBeija, Phoenix a pris ce rôle de mentor·e et de guide, portant cet engagement envers l’art, le soin et celles et ceux qui suivront. Son titre au sein du ballroom n’est pas qu’un honneur; c’est une responsabilité—envers toutes celles et ceux qui cherchent à exister dans un monde qui ne leur laisse pas d’espace.

    Le monde nous broie. Il nous dit qu’on doit mériter le repos. Il réduit la joie à un caprice. Et pourtant, on fait autrement. On se rassemble. On célèbre. On s’impose.

    Persister, c’est résister. Mais insister sur la joie, c’est exiger la viabilité—notre droit de vivre pleinement, non pas comme une concession, mais comme un acte de défi abolitionniste. Un refus que l’exploitation soit notre seul héritage.

    Le Huit de Coupe parle de départ, oui, mais aussi de retour—vers soi, vers la possibilité, vers le monde que nous construisons ensemble. En quittant le Wiggle Room, mes doigts effleurant encore la carte dans ma poche, j’ai senti quelque chose bouger en moi.

    Parfois, l’univers nous envoie ses messages dans des gestes immenses. Et parfois, ils prennent la forme d’une performance qui exige le silence. D’une carte de tarot laissée sur un siège. D’une nuit passée entouré·e de celles et ceux qui nous voient vraiment.

    Et parfois, ces messages sont simples, mais essentiels :

    Continue.
    Choisis-toi.
    Trouve la joie.

    Parce que ça aussi, c’est la résistance. Ça aussi, c’est la survie. Et même quand le monde ne nous donne rien, on se façonnera nous-mêmes—ensemble.