Catégorie : Académique

  • Quand les institutions demandent notre travail mais pas nos voix

    Quand les institutions demandent notre travail mais pas nos voix

    Il y a une forme d’épuisement particulière à être invité dans un espace, pour réaliser que ce qui était prioritaire, c’était votre présence, pas votre voix. L’attente était que vous soyez là, que vous remplissiez le quota, que vous soyez sur le panel, que vous fassiez briller l’institution—sans remettre en question sa structure, sans exiger plus que ce qui a déjà été décidé.

    Je suis allé dans ces espaces trop de fois pour les compter. J’ai vu des institutions qui prétendent se soucier des voix noires, des voix queer, des voix abolitionnistes vider la vie des personnes qui y entrent en croyant, contre toute attente, qu’elles pourraient peut-être créer du changement de l’intérieur. Les universités, les bailleurs de fonds, les organisations de travail social, les initiatives communautaires—elles savent toutes comment se positionner comme inclusives. Elles connaissent le langage de l’équité et de la représentation. Elles savent comment soigner les apparences. Mais quand nous parlons, quand nous nommons les contradictions, quand nous refusons d’être aplatis dans leurs déclarations de diversité, elles nous montrent clairement : notre travail est bienvenu, mais nos voix ne le sont pas.

    Ce n’est jamais juste un moment. C’est un schéma. Une structure. Une manière dont les institutions fonctionnent pour extraire ce dont elles ont besoin des penseurs, activistes et travailleurs communautaires noirs tout en maintenant le contrôle sur les espaces qu’elles prétendent ouvrir pour nous.

    Les multiples formes d’extraction institutionnelle

    Dans les universités, cela ressemble à être invité à parler lors de panels « diversité et inclusion », mais jamais demandé de mener des recherches qui critiquent l’institution elle-même. Cela ressemble à des chercheurs racialistes poussés à faire un travail émotionnel non rémunéré—mentorer des étudiants, présider des comités d’équité, faire le travail relationnel et soignant—pendant que leurs collègues blancs se concentrent sur leurs recherches sans la charge supplémentaire de prouver leur valeur. Cela ressemble à des bailleurs de fonds qui célèbrent la recherche noire dans leurs matériaux marketing, mais ne financent que des projets qui ne menacent pas leur pouvoir.

    Dans les organisations de travail social et communautaires, cela ressemble à des praticiens noirs et autochtones appelés à éduquer des professionnels blancs sur l’anti-racisme tout en travaillant dans des systèmes qui refusent de changer de manière significative. Cela ressemble à des organisations qui affichent leur engagement envers la décolonisation, les soins informés par le trauma et le leadership communautaire, tout en maintenant les mêmes structures hiérarchiques et coloniales qui empêchent les travailleurs noirs et autochtones d’exercer un véritable pouvoir décisionnel. Ils veulent notre savoir, notre compétence culturelle, notre capacité à atteindre les communautés qu’ils prétendent servir. Mais quand nous demandons l’autonomie, l’auto-détermination, ou une véritable redistribution du pouvoir, ils disparaissent.

    Même dans les espaces de ballroom et communautaires, le schéma se répète. J’ai vu des entreprises, des marques et même des organisations queer utiliser la culture du ballroom tout en n’offrant rien en retour. Elles vont sponsoriser un bal pour l’image, mais ne jamais financer la survie de la communauté. Elles vont afficher le ballroom comme un symbole de la libération queer, mais ignorer les conditions matérielles des personnes queer et trans noires au-delà de la performance. Les grandes marques vont mettre des performeurs de ballroom dans des campagnes publicitaires, mais les payer une fraction de ce qu’elles donnent aux influenceurs queer blancs. Elles vont s’approprier notre langage tout en refusant d’investir dans les espaces qui nous soutiennent. Elles veulent le spectacle, pas la politique. Elles veulent la culture, pas le soin. Elles utiliseront le langage de « maison » et de « famille », mais leur investissement s’arrête dès que les caméras s’éteignent.

    Le coût d’être vu·e mais non entendu·e

    Le coût de tout cela n’est pas seulement l’épuisement, l’aliénation ou la frustration—même si c’est tout cela. C’est le poids d’être invité à performer un savoir sans avoir les outils pour le mettre en pratique. C’est être invité dans une pièce pour réaliser que votre présence est symbolique, pas transformative. C’est la prise de conscience que ces institutions n’ont jamais été conçues pour nous accueillir pleinement, mais pour extraire ce qu’elles peuvent avant de nous jeter.

    C’est ainsi que les institutions nous font douter de nos propres instincts—en nous faisant croire que si nous plaidons plus fort, si nous adoucissons nos paroles, si nous jouons le jeu un peu plus longtemps, peut-être pourrons-nous changer quelque chose. Mais ce changement ne vient jamais. À la place, nous nous épuisons dans un système qui ne récompense notre présence que lorsqu’elle est commode, et nous punit quand elle ne l’est pas.

    Pendant longtemps, j’ai cru que la réponse était demander plus à ces institutions—plaider, repousser, leur faire comprendre que l’inclusion sans pouvoir n’a pas de sens. Mais j’ai appris que les institutions ne sont pas faites pour écouter. Elles sont faites pour extraire. Elles sont faites pour absorber les critiques sans transformation. Et donc, la question n’est pas comment nous leur faisons voir ce que nous sommes, mais comment nous décidons où nous plaçons notre énergie.

    Choisir le refus plutôt que l’extraction

    Le refus est une compétence. C’est un acte de survie. C’est apprendre à reconnaître les espaces où notre travail sera extrait et jeté, et choisir, à la place, de construire ailleurs. C’est comprendre que nous ne sommes pas des ponts vers la légitimité institutionnelle—nous sommes des architectes de quelque chose de totalement différent. C’est nommer le tort sans l’adoucir, sans attendre d’être rendu·e plus digeste. C’est quitter la table quand le repas n’a jamais été fait pour nous nourrir.

  • Appel urgent à Dalhousie : désinvestir des entreprises complices de l’occupation israélienne

    Appel urgent à Dalhousie : désinvestir des entreprises complices de l’occupation israélienne

    Chers membres du conseil des gouverneurs de l’Université Dalhousie,

    En tant qu’étudiant au doctorat à Dalhousie, je me sens obligé de prendre la parole sur un enjeu qui touche directement les valeurs fondamentales de notre institution universitaire. Les investissements de l’université dans des entreprises complices de l’occupation illégale de la Palestine par Israël vont à l’encontre de ses engagements envers l’équité, la justice et la dignité humaine. Il ne s’agit pas simplement d’un enjeu financier — c’est une crise morale. En maintenant des liens financiers avec ces entreprises, Dalhousie se rend complice d’une violence continue que les Nations Unies ont clairement qualifiée d’intention génocidaire.

    Le récent rapport de la Rapporteuse spéciale de l’ONU, Francesca Albanese, présente des détails glaçants sur la destruction systématique de la vie palestinienne à Gaza. Il décrit les déplacements forcés, les massacres et le ciblage délibéré des civils comme des actes qui relèvent du génocide. Ce n’est pas une réalité lointaine : c’est une réalité dans laquelle notre université est directement impliquée à travers ses investissements dans des entreprises qui profitent des colonies illégales, de la démolition de maisons et de la violence militarisée. Ces choix financiers ont des conséquences concrètes et dévastatrices pour des millions de Palestinien·nes.

    L’histoire de Dalhousie nous montre ce qui se passe lorsque les institutions privilégient le profit au détriment des personnes. Le rapport du groupe de travail sur Lord Dalhousie a mis en lumière les profondes implications de l’université dans l’esclavage, le racisme anti-Noir et l’exploitation coloniale. Même si des efforts ont été déployés pour aborder cet héritage, les investissements actuels dans des entreprises qui soutiennent la destruction de la Palestine perpétuent les mêmes logiques de violence. Ces décisions sapent les fondements mêmes de ce que Dalhousie prétend représenter.

    En tant qu’étudiant, j’ai été fier de faire partie d’une communauté qui affirme valoriser l’équité et la réconciliation. Mais ces valeurs doivent se refléter dans nos actions. Au cours des trois années passées à Dalhousie, j’ai vu beaucoup de discours sur l’équité et la justice sociale, mais peu d’efforts véritables pour saper les systèmes qui perpétuent l’oppression. Soyons clairs : investir dans des entreprises complices d’un génocide est en totale contradiction avec les principes que notre communauté affirme défendre. Nous ne pouvons pas détourner le regard pendant que des vies sont détruites, que des communautés sont effacées, et qu’un peuple entier subit une oppression orchestrée par un État. La neutralité face à une telle violence équivaut à une complicité.

    Mon travail de chercheur porte sur la manière dont la violence systémique fracture les communautés, les identités et les vies. Je sais à quel point ces luttes sont interconnectées. La violence colonialiste que subissent les populations palestiniennes et libanaises aujourd’hui n’est pas sans lien avec les héritages de l’antinoirceur et de la dépossession autochtone qui façonnent encore le Canada et la Nouvelle-Écosse. Ces systèmes d’oppression sont liés, et notre manière de répondre à l’un témoigne de notre engagement envers l’ensemble.

    Dalhousie a la possibilité de prendre les devants — non pas par ses paroles, mais par ses actes. Le désinvestissement n’est pas une demande radicale : c’est une étape nécessaire pour aligner les pratiques financières de l’université avec ses valeurs déclarées. En désinvestissant, Dalhousie peut affirmer son engagement envers la justice et la dignité humaine, en solidarité avec celles et ceux qui résistent à la violence systémique. Ce n’est pas seulement une question de Palestine — c’est une question de responsabilité institutionnelle.

    Je vous exhorte à agir maintenant. Désinvestissez sans délai de toutes les entreprises complices de l’occupation illégale d’Israël. Chaque jour qui passe est un jour où nos ressources continuent de financer la violence et la destruction. Le choix est clair : perpétuer le tort ou se tenir du côté de la justice.

    C’est un moment décisif pour notre université. Que Dalhousie soit reconnue comme une institution qui a choisi la responsabilité et le courage face au génocide. Qu’elle devienne un chef de file dans la lutte pour l’équité, la dignité et les droits humains.

    En solidarité,


    Vincent Mousseau, M.Sc. T.S.
    Doctorant
    Faculté de santé, Université Dalhousie