Auteur : Vincent Mousseau

  • Le mauvais deuil

    Le mauvais deuil

    Qui a le droit de pleurer en public — et qui ne l’a pas

    C’était calme au début. Juste quelques-un·es d’entre nous, allongé·es sur le béton froid devant l’Université McGill Keffiehs pliés. Corps disposés non pas pour le spectacle, mais pour le deuil.
    Le die-in n’était pas fait pour devenir viral. Il voulait dire ce que le système refuse de nommer :
    Gaza est en train d’être effacée.
    Et les travailleur·ses de la santé savent depuis toujours à quoi ressemble un génocide.

    Je me souviens du poids de ma propre respiration.
    Pas lourde. Pas dramatique. Juste là.

    Quelqu’un est passé et a pris une photo sans demander. Un autre a continué sa route comme si on n’était même pas là.
    Quand on s’est relevé·es, rien n’avait changé. Ni dans la rue. Ni dans les nouvelles.
    Mais quelque chose s’était déposé dans ma poitrine. Et ne m’a jamais quitté.

    Parce qu’on ne s’allongeait pas seulement pour Gaza.
    On s’allongeait avec la conscience que notre deuil ne sera jamais reconnu comme un deuil.

    Pas quand il est noir.
    Pas quand il est queer.
    Pas quand il est lié à la Palestine, aux vies trans, à la violence de l’État.

    Ce genre de deuil ne reçoit pas de bougies.
    Il reçoit la police.
    Pas de communiqués.
    Du silence.

    Et parfois, si on n’y prend pas garde, il se retourne contre nous.
    On nous fait croire qu’on est trop.
    Qu’on est le problème.
    Qu’on pleure mal.

    Le deuil noir perçu comme menace

    Le deuil noir n’a jamais été vu comme un deuil.
    Il est perçu comme de la colère.
    Comme un danger.
    Comme quelque chose à contrôler.

    Une vigile pour une vie noire devient un incident policier.
    Une manifestation devient une émeute.
    Une mère pleure à la télé et la discussion vire sur les vitrines cassées.

    Ce n’est pas nouveau.
    Mais ce n’est pas moins violent.

    Même dans les espaces dits progressistes — les organismes de santé, les coalitions militantes, les collectifs queer — il y a des règles invisibles :
    Ne pleure pas trop fort.
    Ne dis pas les choses trop crûment.
    Ne dérange pas.

    Je les ai senties, ces règles.
    On m’a dit que j’étais trop émotif pour avoir nommé ce qui faisait mal.
    Qu’il fallait que je revienne quand je serais plus calme.
    Comme si le deuil devait être raisonnable pour être réel.

    Mais le deuil noir n’appartient pas aux institutions.
    Il n’a pas besoin d’être propre.
    Il n’a pas besoin d’être approuvé.
    Il se manifeste là où il le faut :
    Dans la cuisine. Dans les escaliers. Dans la rue. Dans les silences d’après la réunion.

    Et c’est peut-être pour ça qu’il fait peur.
    Parce qu’on ressent encore.
    Parce qu’on tient encore.
    Parce qu’on refuse d’oublier.

    Dans un monde qui cherche à nous effacer, pleurer devient une forme de résistance.

    Le deuil palestinien et la politique du déni

    Si le deuil noir est vu comme une menace, le deuil palestinien est nié.
    Ou encore : criminalisé.

    Depuis des mois, on voit le deuil devenir un champ de bataille.
    Des vigiles interdites.
    Des drapeaux saisis.
    Des photos d’enfants tué·es jugées trop politiques, trop choquantes, trop dérangeantes.

    Comme si pleurer était une agression.

    On nous dit que la mort à Gaza est tragique, mais surtout — pas de cercueils dans les rues.
    Pas de posters.
    Pas de noms récités.
    On nous dit : ce n’est pas du deuil, c’est de la propagande.

    Mais qui décide ce qui est un deuil acceptable ?
    Qui décide que certaines douleurs sont trop provocantes pour être dites ?

    Les mêmes États qui financent les bombes exigent notre silence.
    Ils veulent un deuil discret, qui ne dérange pas l’ordre établi.

    Mais le deuil palestinien déborde.
    Il descend dans les rues.
    Il s’écrit sur les murs.
    Il se crie dans les chants.

    Il insiste pour exister, même quand le monde détourne les yeux.

    Et cette insistance, elle résonne.
    Parce que pour nous — les personnes noires, queer, déplacées — elle est familière.
    On sait ce que ça fait de pleurer et de se faire dire que c’est trop.

    Pourtant, on continue de pleurer.
    Ensemble.
    En public.
    Sans s’excuser.

    Le deuil queer et les rituels du refus

    Les personnes queer ont toujours dû inventer leurs propres manières de pleurer.
    Personne ne nous a jamais fait de place.
    On l’a prise.

    Dans les clubs.
    Dans les ruelles.
    Dans nos bras.

    On a organisé des vigiles que personne n’a couvertes.
    On a porté des noms que personne n’a prononcés.
    On a mis des fleurs là où les corps ont été retrouvés — et où la police n’est jamais venue.

    C’est notre héritage.
    Pense à ACT UP et aux die-ins.
    Aux cendres apportées devant les institutions.
    Aux veillées qui étaient plus des cris que des cérémonies.

    Ce n’était pas juste du deuil.
    C’était un refus du silence.

    Et cet héritage continue.
    Il est là quand une vigile trans se tient dans un stationnement.
    Quand on allume une bougie pour quelqu’un qu’on n’a jamais connu, parce que personne d’autre ne le fera.
    Quand on écrit un nom en ligne parce qu’aucun média ne l’a fait.

    Le deuil queer n’a pas toujours l’air d’un deuil.
    Parfois il est maladroit.
    Parfois il est bruyant.
    Parfois il est juste deux personnes qui s’effondrent dans une salle de bain.

    Mais ce qui le rend puissant, c’est le refus.
    Refus de pleurer en silence.
    Refus d’adoucir la douleur.
    Refus de faire semblant qu’on n’est pas brisé·es.

    Il y a là-dedans une forme de soin.
    Pas celui qu’on apprend dans les manuels.
    Celui qui dit :
    “Je te vois. Je vais porter ça avec toi. Même si personne d’autre ne le fait.”

    Un deuil qui ne rentre pas dans le cadre

    J’ai été dans des espaces où je savais que je n’avais pas le droit de pleurer.
    Pas vraiment.
    Je pouvais parler, peut-être. Mais pas trop ressentir.
    Pas faire trembler la pièce.
    Pas dire quelque chose qui gêne.

    Parfois, le silence n’est même pas direct.
    C’est un regard qu’on évite.
    Une discussion qu’on détourne.
    Un silence gêné — pas respectueux, juste inconfortable.

    Je me souviens qu’on m’a dit que j’étais ben énervé pour avoir critiqué la surreprésentation de personnes noires dans un diaporama.
    Sans contexte.
    Sans données.
    Sans soin.

    Juste des images.
    Juste un effet visuel.

    Je n’étais pas fâché.
    Je pleurais.
    Je pleurais l’absence.
    Je pleurais la manière dont nos vies deviennent des accessoires dans des milieux qui prétendent nous inclure.

    Et même ça, c’était trop.

    On apprend à rapetisser notre deuil.
    À le rendre stratégique.
    À le rendre supportable.

    Et quand on ne peut pas le contenir, on nous dit qu’on est instables.
    Trop sensibles.
    Pas professionnels.

    Mais le deuil n’est pas censé rassurer.
    Ce n’est pas un moment passager.
    C’est une présence.
    Quelque chose qui reste dans le souffle, dans la posture, dans la peau.

    Il y a des jours où je le porte comme un brouillard.
    D’autres, comme un couteau.
    D’autres encore, il n’arrive qu’après : une fois le masque enlevé, la porte refermée.

    Mais je ne m’en excuse plus.
    Parce que j’ai compris que le deuil est une preuve.

    Que ressentir autant, même maintenant, veut dire qu’il me reste encore quelque chose.
    Qu’on ne m’a pas tout pris.

    Vers un deuil abolitionniste

    Il faut arrêter de croire que le deuil est valable seulement s’il est discret, propre, autorisé.

    Il faut arrêter de demander aux systèmes qui nous détruisent de reconnaître ce qu’ils causent.

    Le deuil abolitionniste n’attend pas d’approbation.
    Il ne cherche pas la réforme.
    Il ne performe pas la douleur pour convaincre.

    Il pleure selon ses propres règles — collectivement, sans permission, sans fin.
    Il ne presse pas la guérison.
    Il reste dans ce qui fait mal.
    Il laisse parler la blessure.

    Et ce n’est pas nouveau.

    Les peuples noirs et autochtones ont toujours su pleurer comme l’État ne saura jamais le permettre.
    Les Palestinien·nes portent le deuil à travers chaque génération.
    Les personnes trans organisent des rituels que jamais aucune Église ne bénira.

    On a toujours su faire l’impossible.
    Juste assez longtemps pour survivre.

    On n’a pas besoin que notre chagrin soit plus visible, plus acceptable, plus institutionnel.
    On a besoin qu’il soit entendu tel qu’il est.

    Parce que le deuil n’est pas ce qui nous brise.
    Ce qui nous brise, c’est de ne pas avoir où le déposer.
    Et ce qui nous répare — si quelque chose peut —
    c’est de savoir qu’on ne le porte pas seul·e.

    On pleure encore

    Il faut arrêter de croire que le deuil est valable seulement s’il est discret, propre, autorisé.

    Il faut arrêter de demander aux systèmes qui nous détruisent de reconnaître ce qu’ils causent.

    Le deuil abolitionniste n’attend pas d’approbation.
    Il ne cherche pas la réforme.
    Il ne performe pas la douleur pour convaincre.

    Il pleure selon ses propres règles — collectivement, sans permission, sans fin.
    Il ne presse pas la guérison.
    Il reste dans ce qui fait mal.
    Il laisse parler la blessure.

    Et ce n’est pas nouveau.

    Les peuples noirs et autochtones ont toujours su pleurer comme l’État ne saura jamais le permettre.
    Les Palestinien·nes portent le deuil à travers chaque génération.
    Les personnes trans organisent des rituels que jamais aucune Église ne bénira.

    On a toujours su faire l’impossible.
    Juste assez longtemps pour survivre.

    On n’a pas besoin que notre chagrin soit plus visible, plus acceptable, plus institutionnel.
    On a besoin qu’il soit entendu tel qu’il est.

    Parce que le deuil n’est pas ce qui nous brise.
    Ce qui nous brise, c’est de ne pas avoir où le déposer.
    Et ce qui nous répare — si quelque chose peut —
    c’est de savoir qu’on ne le porte pas seul·e.

    Fediverse Reactions
  • Ce que la blancheur pleure quand une plantation brûle

    Ce que la blancheur pleure quand une plantation brûle

    Quand la plantation Nottoway a brûlé, ce n’est pas juste un bâtiment qui s’est effondré — c’est tout un fantasme blanc qui est parti en fumée. Et dans les cendres, quelque chose est remonté à la surface : une tristesse blanche. Pas pour les personnes réduites en esclavage. Pas pour les vies brisées sur cette terre. Non. Ce qui a été pleuré, c’est le lieu. L’endroit. Le décor.

    Un lieu de photos de mariage. Un « souvenir inoubliable ». Un arrière-plan romantique pour célébrer l’amour, effaçant les cris qui ont marqué chaque brique de cette maison.

    Et comme travailleur social, habitué à écouter les deuils, je le dis franchement : ce chagrin-là en dit long. Il révèle tout ce qu’il y a à savoir sur le rapport entre la blancheur, la mémoire, et la propriété.

    Le mariage sur plantation : l’art de l’oubli

    Choisir une plantation pour s’unir, ce n’est pas une décision neutre. C’est un choix qui transforme un lieu de souffrance en carte postale. C’est ignorer sciemment l’histoire — ou pire, la recycler pour en faire du beau. Ce n’est pas une perte de mémoire, c’est une mise en scène. Une esthétique de l’effacement.

    Et quand ce décor s’effondre, quand le fantasme se consume, les larmes coulent. Mais pas pour les bonnes raisons. Ce n’est pas l’histoire qui est pleurée. C’est l’illusion de confort qui disparaît.

    La peine blanche comme logique sociale

    Ce deuil, ce n’est pas une erreur. C’est une structure. Une manière de maintenir l’antinégritude au cœur de la société. En termes afropessimistes, ce chagrin révèle une vérité fondamentale : la vie blanche se construit sur la mort noire. Littéralement.

    Le deuil n’est pas dirigé vers ce que la plantation représente — il en fait abstraction. La souffrance noire n’est jamais le sujet. Elle est le décor. Le bruit de fond. L’ambiance.

    Et quand ce décor brûle, ce n’est pas la violence historique qui est pleurée. C’est la perte du confort qu’elle procurait.

    Ce que le deuil nous apprend

    Comme travailleur social, j’écoute les deuils. Tous ne se ressemblent pas. Certains sont profonds, bouleversants, sincères. D’autres sont creux, possessifs, pleins d’oubli.

    Celui qui a suivi l’incendie de Nottoway appartient à cette deuxième catégorie. Il ne pleure pas des vies, il pleure un privilège. Il ne dit pas : regardons ce que cette terre a enduré. Il dit : c’était à nous. Pourquoi nous l’a-t-on enlevé ?

    Ce n’est pas du deuil. C’est une tentative de garder la main sur le récit.

    L’incendie n’est pas la tragédie

    La vraie tragédie, ce n’est pas que la plantation ait brûlé.

    C’est qu’elle ait existé aussi longtemps. Qu’elle ait été transformée en hôtel, en salle de réception, en attraction touristique. Qu’on y ait célébré l’amour sans jamais honorer les morts. Qu’elle ait été rénovée plutôt que transformée en lieu de mémoire, de réparation, de vérité.

    Et la tragédie, c’est que certain·es croient encore que c’est le feu qui l’a salie.

    Ce que je refuse de pleurer

    Je ne pleure pas la plantation. Je ne la pleurerai jamais.

    Je pleure les enfants noirs sans sépulture. Les révoltes effacées. Les mémoires muselées. Les descendants à qui l’on a demandé de se taire. Les visages qui n’ont jamais eu le droit de hanter.

    Je pleure ce que la blancheur refuse de voir. Ce qu’elle refuse de porter. Ce qu’elle refuse de laisser partir.

    Mais une plantation n’est pas une perte.

    Son incendie, c’est une justice en flammes.

  • Fantasmes d’indépendance et vérités coloniales

    Fantasmes d’indépendance et vérités coloniales

    L’Alberta veut se séparer. Encore. Et cette fois, c’est plus bruyant que d’habitude.

    Le dernier retour en force du séparatisme de l’Ouest — que certain·es commencent à brandir comme un vrai projet de référendum — prend de l’ampleur. Des politicien·nes testent le terrain. La première ministre ne l’écarte pas. Et, sans surprise, on ressort le Québec comme modèle à suivre.

    Mais je vais être clair dès le départ : je ne défends pas le Canada. Je n’ai aucune fidélité envers cette fédération. Je ne crois pas que les États doivent être sauvés — pas celui-là, ni aucun autre. Je ne pense pas qu’un projet de société passe par une autre constitution, un autre drapeau, une autre frontière. Je suis abolitionniste. Et comme personne noire, queer, né en Ontario et élevé au Québec, je sais très bien que le nationalisme est souvent juste une autre forme de domination, emballée dans un beau récit.

    C’est exactement pour ça que les prétentions séparatistes de l’Alberta ne me semblent pas radicales. Elles me semblent réactionnaires.

    Oui, le nationalisme québécois est traversé par le colonialisme, l’anti-Noirceur, la xénophobie. Il a ses violences, ses exclusions, ses angles morts. Mais il s’appuie, malgré tout, sur quelque chose : une langue, une culture, une mémoire collective forgée par des siècles d’assimilation forcée. Ça n’excuse rien. Mais ça explique quelque chose.

    L’Alberta n’a pas ça.

    Il n’y a pas de langue menacée. Pas de système de parenté marginalisé. Pas de récit culturel effacé par l’État canadien. Il y a du pétrole. De la colère. Du ressentiment. Et un rapport au pouvoir forgé par le privilège et l’extractivisme.

    L’Alberta ne cherche pas à fuir l’oppression. Elle cherche à éviter la reddition de comptes.

    C’est pas un projet de liberté. C’est une crise de nerfs d’une province qui ne veut plus entendre “non”. Une province qui, depuis toujours, profite d’un pouvoir politique démesuré, de subventions fédérales massives et d’un statut à part dans l’imaginaire colonial. Et maintenant que le monde change, que la crise climatique rend l’immobilisme impossible, l’Alberta ne veut pas s’adapter. Elle veut se retirer.

    Elle ne cherche pas l’émancipation. Elle réclame l’exemption.

    Et quand l’Alberta utilise le Québec comme justification — comme précédent historique — elle révèle le fond de sa démarche : il n’y a pas de culture à défendre, juste des intérêts à préserver. Parce que malgré tout, au Québec, il existe une langue. Une littérature. Une mémoire. Un récit collectif, même s’il est souvent toxique pour les personnes noires et autochtones. En Alberta, ce qu’on veut protéger, ce sont les pipelines et les profits. Rien de plus.

    C’est pas de la décolonisation. C’est une colonie qui refuse de partager.

    Le séparatisme albertain recycle les codes des luttes de libération pour renforcer sa domination. Il imite les rhétoriques de résistance tout en défendant exactement ce qui détruit nos mondes. Et c’est là que c’est dangereux : ça se donne des allures d’anticolonialisme, mais c’est juste du néocolonialisme mal déguisé.

    Comme personne qui a vécu dans le ventre du nationalisme québécois, qui a survécu à la violence symbolique et matérielle de l’État canadien, je ne confonds plus jamais un nouveau pays avec un projet de justice. J’ai vu comment les États se bâtissent — et qui ils laissent mourir en chemin. J’ai appris que toutes les sorties ne mènent pas vers la liberté.

    Être abolitionniste, ça ne veut pas dire sauver le Canada. Mais ça veut pas dire célébrer toutes les séparations non plus — surtout quand elles viennent de ceux qui ont déjà tout, et qui veulent garder le reste.

    Alors non, je ne vais pas romantiser les rêves séparatistes de l’Alberta. Je ne vais pas les laisser réécrire l’histoire avec le Québec comme caution. Et je ne vais pas prétendre que ce projet est libérateur alors qu’il est fondé sur la peur de perdre du pouvoir.

    L’Alberta ne cherche pas à échapper à l’oppression. Elle cherche à la protéger.

    Et certain·es d’entre nous refusent de faire semblant de pas le voir.

  • Après l’élection : Aucun salut, aucune victoire, seulement notre travail

    Après l’élection : Aucun salut, aucune victoire, seulement notre travail

    Ce soir, l’élection a confirmé ce que nous savons déjà : ce pays est en train de se désagréger sous son propre poids.

    Mark Carney, incarnation du capitalisme financier maquillé en stabilité, a remporté un gouvernement minoritaire. Non pas par enthousiasme populaire, mais parce que beaucoup ont eu peur de lâcher la dernière illusion d’ordre. Ce gouvernement de technocrates n’administrera pas des solutions; il administrera des crises, en tentant de rafistoler un système en ruine avec les outils mêmes qui l’ont détruit.

    Le NPD, lui, s’est effondré.
    Pas seulement en nombre de sièges, mais en pertinence politique.
    À force de diluer leurs positions, de sacrifier les communautés qui leur avaient fait confiance, d’échanger des rêves d’émancipation contre des sièges à Ottawa, ils ont fini par devenir aussi insignifiants que ceux qu’ils prétendaient combattre. En cherchant l’approbation du centre blanc, ils ont perdu leur ancrage dans les luttes vivantes des personnes Noires, Autochtones, racisées, queer, handicapées et ouvrières.

    Quant à Poilievre, son échec personnel — la perte de son siège — ne doit tromper personne.
    La droite réactionnaire qu’il a nourrie est toujours en expansion.
    Son départ ouvre un espace qui sera comblé par des figures encore plus radicalisées, encore plus brutales.
    La montée du fascisme au Canada ne s’arrête pas avec la chute d’un homme ; elle continue, plus déchaînée, plus ouverte.

    Ce que révèle cette élection, ce n’est pas un virage historique.
    C’est la continuation d’un lent effondrement : celui d’un État colonial bâti sur la dépossession des peuples autochtones, l’asservissement des Noir·es et l’exploitation des migrant·es. Un État qui se présente encore comme une démocratie, alors qu’il ne fait que gérer les ruines d’un projet condamné.

    Ce soir, il n’y avait rien à sauver.
    Parce que ce qui détruit nos vies — les frontières, la police, les prisons, la logique de propriété, le racisme structurel — n’était même pas remis en question.

    En tant que personne Noire, queer, abolitionniste, je n’ai pas voté pour l’espoir.
    Je n’ai pas voté pour le désespoir non plus.

    Je me tiens là où je me suis toujours tenu : du côté des survivant·es et des bâtisseur·euses d’autres mondes.
    Parce que nous savons que l’Empire ne tombera pas pour nous. Il tombera sur nous, si nous ne sommes pas prêt·e·s.

    Notre travail n’a jamais dépendu des urnes.
    Il se construit dans les réseaux d’entraide.
    Dans les solidarités concrètes entre Noir·es, Autochtones, personnes racisées, migrant·es, queers.
    Dans la préservation de nos mémoires contre l’effacement.
    Dans l’imagination radicale, qui refuse de limiter nos vies aux décombres qu’on nous laisse.

    Nous sommes les héritier·ères des marronnages, des fugues, des solidarités clandestines.
    Nous sommes les futur·es bâtisseur·euses d’infrastructures de survie qui n’auront jamais besoin de reconnaissance étatique pour exister.

    Ce soir, Carney n’a rien gagné.
    Poilievre n’a rien perdu.
    Le NPD n’avait déjà plus rien à offrir.

    Mais nous, nous sommes encore là.
    Nous persistons, malgré et contre tout.

    Pas de salut venu d’en haut.
    Pas de miracles électoraux.

    Seulement nos mains.
    Nos voix.
    Nos solidarités.

    Et tout ce que nous construirons ensemble, contre leurs ruines.

  • Quand les institutions demandent notre travail mais pas nos voix

    Quand les institutions demandent notre travail mais pas nos voix

    Il y a une forme d’épuisement particulière à être invité dans un espace, pour réaliser que ce qui était prioritaire, c’était votre présence, pas votre voix. L’attente était que vous soyez là, que vous remplissiez le quota, que vous soyez sur le panel, que vous fassiez briller l’institution—sans remettre en question sa structure, sans exiger plus que ce qui a déjà été décidé.

    Je suis allé dans ces espaces trop de fois pour les compter. J’ai vu des institutions qui prétendent se soucier des voix noires, des voix queer, des voix abolitionnistes vider la vie des personnes qui y entrent en croyant, contre toute attente, qu’elles pourraient peut-être créer du changement de l’intérieur. Les universités, les bailleurs de fonds, les organisations de travail social, les initiatives communautaires—elles savent toutes comment se positionner comme inclusives. Elles connaissent le langage de l’équité et de la représentation. Elles savent comment soigner les apparences. Mais quand nous parlons, quand nous nommons les contradictions, quand nous refusons d’être aplatis dans leurs déclarations de diversité, elles nous montrent clairement : notre travail est bienvenu, mais nos voix ne le sont pas.

    Ce n’est jamais juste un moment. C’est un schéma. Une structure. Une manière dont les institutions fonctionnent pour extraire ce dont elles ont besoin des penseurs, activistes et travailleurs communautaires noirs tout en maintenant le contrôle sur les espaces qu’elles prétendent ouvrir pour nous.

    Les multiples formes d’extraction institutionnelle

    Dans les universités, cela ressemble à être invité à parler lors de panels « diversité et inclusion », mais jamais demandé de mener des recherches qui critiquent l’institution elle-même. Cela ressemble à des chercheurs racialistes poussés à faire un travail émotionnel non rémunéré—mentorer des étudiants, présider des comités d’équité, faire le travail relationnel et soignant—pendant que leurs collègues blancs se concentrent sur leurs recherches sans la charge supplémentaire de prouver leur valeur. Cela ressemble à des bailleurs de fonds qui célèbrent la recherche noire dans leurs matériaux marketing, mais ne financent que des projets qui ne menacent pas leur pouvoir.

    Dans les organisations de travail social et communautaires, cela ressemble à des praticiens noirs et autochtones appelés à éduquer des professionnels blancs sur l’anti-racisme tout en travaillant dans des systèmes qui refusent de changer de manière significative. Cela ressemble à des organisations qui affichent leur engagement envers la décolonisation, les soins informés par le trauma et le leadership communautaire, tout en maintenant les mêmes structures hiérarchiques et coloniales qui empêchent les travailleurs noirs et autochtones d’exercer un véritable pouvoir décisionnel. Ils veulent notre savoir, notre compétence culturelle, notre capacité à atteindre les communautés qu’ils prétendent servir. Mais quand nous demandons l’autonomie, l’auto-détermination, ou une véritable redistribution du pouvoir, ils disparaissent.

    Même dans les espaces de ballroom et communautaires, le schéma se répète. J’ai vu des entreprises, des marques et même des organisations queer utiliser la culture du ballroom tout en n’offrant rien en retour. Elles vont sponsoriser un bal pour l’image, mais ne jamais financer la survie de la communauté. Elles vont afficher le ballroom comme un symbole de la libération queer, mais ignorer les conditions matérielles des personnes queer et trans noires au-delà de la performance. Les grandes marques vont mettre des performeurs de ballroom dans des campagnes publicitaires, mais les payer une fraction de ce qu’elles donnent aux influenceurs queer blancs. Elles vont s’approprier notre langage tout en refusant d’investir dans les espaces qui nous soutiennent. Elles veulent le spectacle, pas la politique. Elles veulent la culture, pas le soin. Elles utiliseront le langage de « maison » et de « famille », mais leur investissement s’arrête dès que les caméras s’éteignent.

    Le coût d’être vu·e mais non entendu·e

    Le coût de tout cela n’est pas seulement l’épuisement, l’aliénation ou la frustration—même si c’est tout cela. C’est le poids d’être invité à performer un savoir sans avoir les outils pour le mettre en pratique. C’est être invité dans une pièce pour réaliser que votre présence est symbolique, pas transformative. C’est la prise de conscience que ces institutions n’ont jamais été conçues pour nous accueillir pleinement, mais pour extraire ce qu’elles peuvent avant de nous jeter.

    C’est ainsi que les institutions nous font douter de nos propres instincts—en nous faisant croire que si nous plaidons plus fort, si nous adoucissons nos paroles, si nous jouons le jeu un peu plus longtemps, peut-être pourrons-nous changer quelque chose. Mais ce changement ne vient jamais. À la place, nous nous épuisons dans un système qui ne récompense notre présence que lorsqu’elle est commode, et nous punit quand elle ne l’est pas.

    Pendant longtemps, j’ai cru que la réponse était demander plus à ces institutions—plaider, repousser, leur faire comprendre que l’inclusion sans pouvoir n’a pas de sens. Mais j’ai appris que les institutions ne sont pas faites pour écouter. Elles sont faites pour extraire. Elles sont faites pour absorber les critiques sans transformation. Et donc, la question n’est pas comment nous leur faisons voir ce que nous sommes, mais comment nous décidons où nous plaçons notre énergie.

    Choisir le refus plutôt que l’extraction

    Le refus est une compétence. C’est un acte de survie. C’est apprendre à reconnaître les espaces où notre travail sera extrait et jeté, et choisir, à la place, de construire ailleurs. C’est comprendre que nous ne sommes pas des ponts vers la légitimité institutionnelle—nous sommes des architectes de quelque chose de totalement différent. C’est nommer le tort sans l’adoucir, sans attendre d’être rendu·e plus digeste. C’est quitter la table quand le repas n’a jamais été fait pour nous nourrir.

  • Quand l’absence parle: Responsabilité, disparition et le poids des relations non réciproques

    Quand l’absence parle: Responsabilité, disparition et le poids des relations non réciproques

    Il y a des absences qui pèsent plus lourd que les présences. Des silences qui ne marquent pas seulement une distance, mais une rupture. Une confirmation de quelque chose qu’on savait déjà, sans encore l’avoir dit à voix haute. Toutes les blessures ne sont pas bruyantes. Parfois, la trahison se glisse dans les non-dits. Parfois, ce qui fait le plus mal, ce n’est pas ce qui a été fait, mais ce qui n’a pas été fait.

    J’ai toujours cru que l’amitié était un engagement. Aimer quelqu’un, c’est être présent. C’est comprendre que les relations ne se construisent pas que dans la légèreté, mais aussi dans la responsabilité, le soin et la réparation. Cette croyance m’a porté. Mais j’ai aussi vu à quel point l’affection pouvait devenir conditionnelle, comment certaines personnes disparaissent au moment où la responsabilité entre en jeu. Il y a des gens qui ne sont disponibles que tant que c’est facile, tant qu’aucune remise en question n’est demandée.

    Ce n’était pas juste une situation isolée. Pas juste une conversation. C’était un schéma. Une structure. Une réalité politique qui se rejoue encore et encore dans nos vies intimes. J’ai vu comment les personnes non noires, surtout celles qui ont une certaine proximité avec la blancheur, réclament la sécurité de nos amitiés sans jamais en accepter les responsabilités. Ils aiment la chaleur. La manière dont nous savons créer des espaces où l’on se sent chez soi. La facilité avec laquelle nous tenons les autres. Mais au moment où on leur demande de tenir quelque chose à leur tour, ils disparaissent.

    Pendant longtemps, j’ai cru que ces disparitions étaient de ma faute. Que si j’avais dit les choses autrement, avec plus de douceur, si j’avais rendu ma peine plus facile à recevoir, tout aurait été différent. Mais je sais maintenant que ce n’est pas moi le problème. C’est ce que la blancheur enseigne : éviter, esquiver, disparaître plutôt que d’affronter. Refuser d’être vu comme quelqu’un qui peut blesser. Se replier dans le silence, dans l’absence, dans le confort de ne jamais avoir à affronter ses propres actes.

    J’ai nommé ce qui m’avait blessé. J’ai posé un cadre. J’ai dit : c’est ici que je m’arrête. Plutôt que de faire face, ils m’ont traité d’inflexible, d’intransigeant. Je l’ai déjà vu. Et cette fois, je refuse que ça définisse ce que je vais bâtir. On dit souvent des personnes noires qu’ils sont trop accommodants, trop patients, trop disponibles. Mais au moment où on affirme nos limites, on devient trop rigides, trop durs, trop incapables de laisser aller. Cette contradiction n’est pas un hasard. C’est structurel. C’est ce qui arrive quand les gens nous voient comme un refuge, mais jamais comme un égal.

    Et puis, ils ont disparu. Pas avec des excuses. Pas avec une tentative de réparer. Ils ont disparu comme disparaissent ceux dont la présence n’a jamais été faite pour durer. Un blocage, un mur dressé, une façon de balayer l’inconfort sans s’y attarder. Une logique coloniale de la jetabilité, appliquée à l’amitié.

    Je l’ai déjà vu. Je ne leur en donne plus. Les gens qui ne peuvent pas être présents avec sincérité ne méritent pas mon temps. Désormais, je choisis des relations où le soin n’est pas une option, où la présence n’est pas conditionnelle, où la responsabilité n’est pas perçue comme un fardeau.

    Le soin sans responsabilité, ce n’est pas du soin. C’est juste de la convenance. Et je refuse d’être commode.

  • Joie, survie et refus d’être brisé·e

    Joie, survie et refus d’être brisé·e

    Notes d’une nuit de performance et de résistance 

    Comme nous le rappelle Saidiya Hartman, la vie noire oscille toujours entre deuil et survie. Une tension qui se resserre encore plus pour les personnes queer et trans noires, dont l’existence même défie les règles imposées par l’ordre social. Dans un monde façonné par l’anti-négritude, où l’épuisement est programmé et où la joie est perçue comme un luxe, le plaisir noir devient un acte radical de refus. Une manière de bâtir un monde là où tout est fait pour nous en priver.

    C’est ce refus, cette réappropriation, qui m’a habité hier soir au Wiggle Room à Tiohtià:ke, lors d’un spectacle burlesque imprégné du langage du tarot et de la transformation. Ce qui s’y jouait n’était pas juste un enchaînement de numéros, mais des rituels—des actes incarnés de storytelling qui racontaient la précarité et les possibilités d’exister sous des structures qui veulent nous contenir.

    Chaque performance invoquait l’énergie d’une carte de tarot, un fil de mysticisme tissé dans le mouvement et la présence. La soirée était légère, ponctuée de rires et d’applaudissements, jusqu’à ce que Phoenix Inana monte sur scène. Contrairement aux autres, sa performance n’était pas du burlesque. C’était de l’art performatif, et ça exigeait le silence. Une rupture nette dans le rythme de la soirée.

    Phoenix incarnait Le Diable. Mais au lieu d’en faire une mise en garde contre la corruption, iel l’a transfiguré. Dans ses mains, ce n’était pas un symbole de damnation, mais une ouverture vers l’autodétermination. Phoenix a tissé Le Diable dans la figure de Lilith—un symbole d’insoumission, un corps qui échappe aux règles, un refus d’être dompté·e. Dans les récits dominants, Le Diable représente l’excès, l’abandon à la tentation. Mais sous la main de Phoenix, iel devenait tout autre chose : un seuil, une confrontation avec soi-même, un rejet des logiques morales qui ont toujours servi à discipliner celles et ceux qu’on qualifie de déviant·e·s. Son mouvement, mesuré et insoumis, incarnait ce que Mackey appelle une chorégraphie affective—une performance qui ne cherche pas le spectacle, mais l’insurrection. Une gestuelle qui refuse la discipline.

    Comme nous le rappelle Hortense Spillers, le corps, sous les ordres coloniaux et patriarcaux, est toujours déjà marqué pour être discipliné. Reprendre la figure du Diable—par Lilith, par le féminin rejeté—c’est refuser les fondements mêmes de cette discipline. La salle retenait son souffle pendant que Phoenix bougeait—délibéré·e, magnétique, parlant une langue au-delà des mots. Ce n’était pas une performance pour un public. C’était une invocation. Quelque chose d’incommensurable. Un face-à-face avec le désir, la honte, et toutes les façons dont on nous a appris à craindre notre propre faim—de plaisir, de liberté, de plus. Dans ce moment, Le Diable n’était plus un symbole de corruption, mais de possibilité. Une permission d’exister en dehors des contraintes qui nous sont imposées.

    Avant que la soirée commence, j’avais trouvé une carte de tarot sur mon siège—le Huit de Coupe. Je n’y avais pas trop prêté attention. Mais plus tard, en sortant dans l’air frais de la nuit, j’ai regardé sa signification. Le départ. Le choix de soi. L’acte, douloureux mais nécessaire, de s’éloigner. L’image de la carte—des coupes laissées derrière, une silhouette en mouvement—s’est déposée en moi.

    C’était une leçon que je connaissais déjà. Une qui revient toujours. Partir, ce n’est pas fuir. C’est ouvrir la possibilité d’un ailleurs. C’est refuser l’épuisement des institutions extractives et choisir à la place la possibilité queer noire. Dans l’après-vie de l’esclavage, où la vie noire est à la fois hyper-visible et jetable, partir n’est pas une simple métaphore—c’est un mode de survie. On quitte des institutions, des relations, des versions de nous-mêmes, parce que survivre exige de bouger.

    J’ai porté ce message avec moi en restant après le show, riant, respirant enfin, entouré·e de cette chaleur que seule la famille choisie peut offrir. L’espace entre nous—nos souffles, notre joie, notre plaisir dans l’instant—était un refus. Pas une échappatoire, pas une pause, mais une insurrection. Ces nuits n’existent pas en dehors de la lutte; elles s’y opposent frontalement. Elles rejettent les systèmes anti-noirs et capitalistes qui nous veulent épuisé·e·s, brisé·e·s, à bout.

    Ces espaces de performance, d’appartenance radicale, s’inscrivent dans une longue lignée de création de mondes queer noirs. L’un des exemples les plus durables en est le ballroom—un mouvement né de la nécessité, en réponse directe à l’exclusion anti-noire et anti-queer des espaces LGBTQ+ blancs du milieu du XXe siècle. Plus qu’un simple lieu de performance, le ballroom est devenu un espace de parenté, un monde où les normes de genre, de beauté et de realness ont été réinventées selon des termes noirs et latins.

    Le ballroom fonctionne comme un contre-public queer noir—une archive insurgée de survie, où la parenté se construit en dehors des logiques extractives du capitalisme. Un espace où l’esthétique du genre, de la performance et de l’appartenance est continuellement réécrite en temps réel. Et bien que le ballroom soit profondément enraciné dans l’histoire noire et latine, il est aussi devenu un refuge pour celles et ceux qui ont connu le déracinement, la résistance, et l’urgence de la famille choisie. En tant que Godmother Phoenix Inana Sankofa LaBeija, Phoenix a pris ce rôle de mentor·e et de guide, portant cet engagement envers l’art, le soin et celles et ceux qui suivront. Son titre au sein du ballroom n’est pas qu’un honneur; c’est une responsabilité—envers toutes celles et ceux qui cherchent à exister dans un monde qui ne leur laisse pas d’espace.

    Le monde nous broie. Il nous dit qu’on doit mériter le repos. Il réduit la joie à un caprice. Et pourtant, on fait autrement. On se rassemble. On célèbre. On s’impose.

    Persister, c’est résister. Mais insister sur la joie, c’est exiger la viabilité—notre droit de vivre pleinement, non pas comme une concession, mais comme un acte de défi abolitionniste. Un refus que l’exploitation soit notre seul héritage.

    Le Huit de Coupe parle de départ, oui, mais aussi de retour—vers soi, vers la possibilité, vers le monde que nous construisons ensemble. En quittant le Wiggle Room, mes doigts effleurant encore la carte dans ma poche, j’ai senti quelque chose bouger en moi.

    Parfois, l’univers nous envoie ses messages dans des gestes immenses. Et parfois, ils prennent la forme d’une performance qui exige le silence. D’une carte de tarot laissée sur un siège. D’une nuit passée entouré·e de celles et ceux qui nous voient vraiment.

    Et parfois, ces messages sont simples, mais essentiels :

    Continue.
    Choisis-toi.
    Trouve la joie.

    Parce que ça aussi, c’est la résistance. Ça aussi, c’est la survie. Et même quand le monde ne nous donne rien, on se façonnera nous-mêmes—ensemble.

  • Un geste de haine

    Un geste de haine

    À la suite des saluts nazis sans équivoque d’Elon Musk lors de l’investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025, une grande partie de la couverture médiatique s’est, sans surprise, tournée vers l’obfuscation, les justifications et — plus troublant encore — une forme de bouc-émissarisation capacitiste. Plutôt que de nommer le geste pour ce qu’il est — un alignement clair avec le symbolisme fasciste — les discours dominants ont tout fait pour en atténuer la portée. Certain·es sont même allé·es jusqu’à blâmer l’autisme ou le diagnostic d’Asperger de Musk, une forme de sanisme (également appelé psychophobie) qui détourne l’attention du fascisme pour la rediriger vers la neurodivergence. C’est un glissement dangereux, malhonnête et capacitiste — et en tant que professionnel de la santé mentale, je tiens à le dire clairement : arrêtez de blâmer l’autisme pour la suprématie blanche.

    Le sanisme au service du fascisme

    Le sanisme — la discrimination systémique envers les personnes perçues comme « mentalement inaptes » — a toujours été un outil d’oppression, utilisé pour délégitimer, discréditer et faire taire. Dans ce cas-ci, il est instrumentalisé pour exonérer Musk de toute responsabilité. Des médias et commentateur·ices ont repris l’idée que la supposée neurodivergence de Musk pourrait expliquer son comportement, comme si l’autisme ou le syndrome d’Asperger prédisposait quelqu’un à faire des gestes fascistes.

    Non seulement cette affirmation est absurde et scientifiquement infondée, elle est aussi profondément nocive. Elle renforce le stigma selon lequel les personnes neurodivergentes seraient socialement inadaptées, dangereuses ou incapables de comprendre les conséquences de leurs gestes. Elle efface l’agentivité des personnes neurodivergentes tout en déresponsabilisant des figures de pouvoir qui participent activement à des systèmes oppressifs.

    Soyons clair·es : l’autisme n’est pas un prélude au fascisme. Le fascisme s’apprend. C’est un choix délibéré. C’est un positionnement assumé, souvent par des personnes puissantes qui savent très bien ce qu’elles font. Confondre la neurodivergence avec la haine, c’est perpétuer le sanisme à grande échelle, et détourner l’attention du véritable enjeu : la normalisation de l’idéologie fasciste dans notre société.

    Le rôle des médias dans la banalisation de la haine

    La manière dont les médias ont traité le geste de Musk s’inscrit dans un schéma plus large : une réticence persistante à nommer le fascisme quand il se présente sous les habits du prestige, de la richesse ou du charisme techno. Au lieu d’interroger la portée réelle des gestes de Musk, plusieurs ont préféré débattre de ses intentions, les contextualiser comme des malentendus, ou — pire encore — en attribuer la faute à sa neurodivergence.

    Ce n’est pas simplement de la lâcheté. C’est de la complicité. En détournant l’attention de la nature explicitement fasciste du geste, les médias permettent qu’il soit réinterprété comme un moment anodin, ironique ou accidentel. Ce type de réécriture crée un terreau fertile pour que le fascisme s’installe, lentement mais sûrement, à l’abri du doute raisonnable. Et en impliquant l’autisme dans ce récit, on ne fait qu’aggraver les choses, en marginalisant davantage les communautés neurodivergentes.

    Pourquoi c’est important : des symboles aux systèmes

    En tant que professionnel de la santé mentale, je travaille avec des personnes qui vivent les effets directs du sanisme, de l’ableisme, du racisme et de l’oppression systémique. Plusieurs sont neurodivergentes. Plusieurs sont noires. Toutes vivent dans un monde qui leur demande constamment de justifier leur existence pendant que des figures comme Musk bénéficient d’une impunité totale. Ce moment est un condensé de la façon dont la haine se déploie — pas toujours à travers de grandes déclarations, mais aussi à travers des gestes subtils et insidieux, que les puissants minimisent tandis que les personnes marginalisées en subissent les conséquences.

    Les symboles comptent. Ils ont un poids. Quand une personne aussi visible que Musk fait un salut nazi — que ce soit « pour rire » ou non — elle envoie un signal clair d’alignement avec la suprématie blanche. Le fait que ce geste soit minimisé ou nié n’est pas une erreur. C’est un symptôme de la banalisation progressive du fascisme dans la culture dominante. Et en blâmant l’autisme, on ajoute une couche de violence, en détournant le regard de la haine systémique pour la diriger vers un groupe déjà marginalisé.

    Un appel à agir

    On ne peut pas laisser passer ça. On ne peut pas permettre à Musk ni à ses défenseur·euses de se cacher derrière l’ambiguïté, le sanisme ou l’ironie. Il faut nommer les choses comme elles sont : un acte fasciste délibéré, rendu encore plus dangereux par le refus médiatique d’en reconnaître les implications.

    Si on laisse le sanisme et l’ableisme dicter la manière dont cette histoire est racontée, on trahit non seulement les communautés neurodivergentes, mais toutes les personnes ciblées par les systèmes de haine que ce geste vient renforcer. En tant que personne qui consacre son travail à la santé mentale et à la lutte contre l’oppression, je sais à quel point ces récits font mal. Et je refuse de les laisser circuler sans riposte.

    Aux médias : cessez de blâmer l’autisme pour le fascisme.

    Au public : exigez que Musk rende des comptes.

    À nous toutes et tous : résistons à la banalisation de la haine, peu importe sa forme.

    Ce n’est pas un malentendu. C’est une alarme. Et il est hors de question de rester endormi·es.

  • Appel urgent à Dalhousie : désinvestir des entreprises complices de l’occupation israélienne

    Appel urgent à Dalhousie : désinvestir des entreprises complices de l’occupation israélienne

    Chers membres du conseil des gouverneurs de l’Université Dalhousie,

    En tant qu’étudiant au doctorat à Dalhousie, je me sens obligé de prendre la parole sur un enjeu qui touche directement les valeurs fondamentales de notre institution universitaire. Les investissements de l’université dans des entreprises complices de l’occupation illégale de la Palestine par Israël vont à l’encontre de ses engagements envers l’équité, la justice et la dignité humaine. Il ne s’agit pas simplement d’un enjeu financier — c’est une crise morale. En maintenant des liens financiers avec ces entreprises, Dalhousie se rend complice d’une violence continue que les Nations Unies ont clairement qualifiée d’intention génocidaire.

    Le récent rapport de la Rapporteuse spéciale de l’ONU, Francesca Albanese, présente des détails glaçants sur la destruction systématique de la vie palestinienne à Gaza. Il décrit les déplacements forcés, les massacres et le ciblage délibéré des civils comme des actes qui relèvent du génocide. Ce n’est pas une réalité lointaine : c’est une réalité dans laquelle notre université est directement impliquée à travers ses investissements dans des entreprises qui profitent des colonies illégales, de la démolition de maisons et de la violence militarisée. Ces choix financiers ont des conséquences concrètes et dévastatrices pour des millions de Palestinien·nes.

    L’histoire de Dalhousie nous montre ce qui se passe lorsque les institutions privilégient le profit au détriment des personnes. Le rapport du groupe de travail sur Lord Dalhousie a mis en lumière les profondes implications de l’université dans l’esclavage, le racisme anti-Noir et l’exploitation coloniale. Même si des efforts ont été déployés pour aborder cet héritage, les investissements actuels dans des entreprises qui soutiennent la destruction de la Palestine perpétuent les mêmes logiques de violence. Ces décisions sapent les fondements mêmes de ce que Dalhousie prétend représenter.

    En tant qu’étudiant, j’ai été fier de faire partie d’une communauté qui affirme valoriser l’équité et la réconciliation. Mais ces valeurs doivent se refléter dans nos actions. Au cours des trois années passées à Dalhousie, j’ai vu beaucoup de discours sur l’équité et la justice sociale, mais peu d’efforts véritables pour saper les systèmes qui perpétuent l’oppression. Soyons clairs : investir dans des entreprises complices d’un génocide est en totale contradiction avec les principes que notre communauté affirme défendre. Nous ne pouvons pas détourner le regard pendant que des vies sont détruites, que des communautés sont effacées, et qu’un peuple entier subit une oppression orchestrée par un État. La neutralité face à une telle violence équivaut à une complicité.

    Mon travail de chercheur porte sur la manière dont la violence systémique fracture les communautés, les identités et les vies. Je sais à quel point ces luttes sont interconnectées. La violence colonialiste que subissent les populations palestiniennes et libanaises aujourd’hui n’est pas sans lien avec les héritages de l’antinoirceur et de la dépossession autochtone qui façonnent encore le Canada et la Nouvelle-Écosse. Ces systèmes d’oppression sont liés, et notre manière de répondre à l’un témoigne de notre engagement envers l’ensemble.

    Dalhousie a la possibilité de prendre les devants — non pas par ses paroles, mais par ses actes. Le désinvestissement n’est pas une demande radicale : c’est une étape nécessaire pour aligner les pratiques financières de l’université avec ses valeurs déclarées. En désinvestissant, Dalhousie peut affirmer son engagement envers la justice et la dignité humaine, en solidarité avec celles et ceux qui résistent à la violence systémique. Ce n’est pas seulement une question de Palestine — c’est une question de responsabilité institutionnelle.

    Je vous exhorte à agir maintenant. Désinvestissez sans délai de toutes les entreprises complices de l’occupation illégale d’Israël. Chaque jour qui passe est un jour où nos ressources continuent de financer la violence et la destruction. Le choix est clair : perpétuer le tort ou se tenir du côté de la justice.

    C’est un moment décisif pour notre université. Que Dalhousie soit reconnue comme une institution qui a choisi la responsabilité et le courage face au génocide. Qu’elle devienne un chef de file dans la lutte pour l’équité, la dignité et les droits humains.

    En solidarité,


    Vincent Mousseau, M.Sc. T.S.
    Doctorant
    Faculté de santé, Université Dalhousie