
On n’était jamais censé·e survivre seul·e
Un cadre noir et queer pour un soin abolitionniste
Ce cadre fait partie de ma pratique, de ma politique, et de ce que j’offre à la survie noire et queer.
Avant de le citer, le partager ou l’adapter, merci de lire la déclaration d’utilisation en accord avec les valeurs.
📖 Un document vivant pour la survie collective
Tu portes ce poids depuis longtemps. Une fatigue que le sommeil n’efface pas. Un serrement dans la poitrine, sans mots pour le nommer. Peut-être que tu as essayé ce qu’on t’a conseillé : les routines matinales, les listes de bien-être, les séances de thérapie où il fallait condenser ton vécu en quelques points. Mais rien de tout ça n’a touché la racine du chagrin. Rien n’a laissé de place à ta colère. Rien n’a reconnu tout ce que tu as déjà traversé pour arriver jusqu’ici.
Ce guide n’est pas là pour te réparer. Il rejette même l’idée que tu sois brisé·e. Il s’appuie sur ce que nous avons toujours su : la chaleur d’un regard qui rassure, la force des récits partagés autour d’une table, la douceur des gestes silencieux qui disent « je suis là ». Ici, tu n’as pas à expliquer pourquoi tu es fatigué·e. Tu n’as pas à sourire pour être vu·e. Tu n’as pas à te réduire pour exister. Tu n’as pas à être entier·e pour commencer.
Ce que tu tiens n’est ni un manuel ni un programme de développement personnel. C’est une invitation vivante, un cadre façonné par l’expérience noire queer diasporique, par le travail social abolitionniste, par le refus de se plier à des systèmes conçus pour nous effacer. Il puise dans la pensée afropessimiste, la souveraineté autochtone, l’entraide, et les stratégies indisciplinées de la survie queer. Ici, le soin est rébellion. La guérison est rupture sacrée. C’est politique, intime, et jamais neutre.
Tu y trouveras des rituels de deuil qui transforment la peine en solidarité. Des outils pour faire face au tort sans passer par la punition. Des exercices pour laisser ton corps parler quand les mots ne suffisent plus. Des pratiques créatives—avec l’argile, le mouvement, la mémoire—qui deviennent des archives vivantes de résistance. Des invitations à créer de nouveaux gestes de soin, ancrés dans la mémoire ancestrale et la possibilité collective.
Il n’y a pas de chemin unique ici. C’est une constellation. Commence là où quelque chose t’appelle. Ignore ce qui ne résonne pas. Reviens quand tu veux. Certaines sections sont des rituels. D’autres, des stratégies. Toutes sont écrites avec soin—pour ton retour à toi-même et à ton monde.
Ce guide s’adresse à celles et ceux à qui on a dit que prendre soin de soi, c’est être égoïste. À celles et ceux qui ont dû expliquer leur souffrance dans des salles qui ne voulaient pas entendre, puis pleuré seul·es en rentrant. À l’artiste dont le corps est devenu un acte de résistance. À l’aîné·e qui a perdu sa langue dans un hôpital. À la tante qui a nourri tout un quartier avec presque rien. À l’étudiant·e dont la voix a craqué sous les chants de la rue.
Et il s’adresse aussi à celles et ceux qui rêvent au-delà de la survie. Qui veulent remplacer les budgets policiers par de l’entraide. Qui savent que les cercles de guérison sont de véritables infrastructures. Qui sentent, au fond d’eux-mêmes, que le soin n’a pas besoin de diplômes pour être légitime. Si tu t’es déjà demandé, même en silence, à quoi pourrait ressembler un monde où le repos n’est pas mérité mais garanti, alors tu fais déjà partie de ce mouvement.
Tu n’es pas seul·e.
Ce document n’a pas été écrit pour rester figé. Il est fait pour circuler, pour être annoté, remis en question, transformé. Il n’appartient pas à une seule personne ni à une institution. Il appartient à celles et ceux qui construisent des mondes plus libres. À celles et ceux qui apprennent à vivre sans se quitter eux-mêmes, ni les un·es les autres.
La guérison n’est pas toujours paisible. Parfois, c’est le feu. Parfois, le chagrin. Parfois, c’est le tumulte sacré de se rappeler qu’on n’a jamais été censé·es survivre seul·es.
Bienvenue.
💭 Si tu te sens perdu·e, commence ici
Si t’es arrivé·e ici, c’est peut-être parce que quelque chose est en train de lâcher. Peut-être que tes pensées tournent trop vite ou qu’elles ne viennent plus du tout. Peut-être que tu sens que t’es en train de disparaître à l’intérieur de toi. Peut-être que tu sais même pas ce qui pourrait aider, mais que t’as su qu’il te fallait quelque chose. C’est pas un échec. C’est une forme de lucidité.
Commence par t’arrêter. Pas pour toujours. Juste assez longtemps pour remarquer que tu respires encore.
Mets tes deux pieds par terre, si possible nus. Appuie doucement. Sens le contact.
Nomme cinq choses autour de toi. Si c’est trop, commence par une seule.
Dis-la à voix haute, même si c’est juste “mes bas” ou “un arbre”. Le but, c’est pas de comprendre. C’est de te reconnecter.
Maintenant, pose-toi doucement la question : c’est quoi le plus petit geste de soin que je peux m’offrir là, tout de suite? Pas le plus profond. Juste le plus accessible.
Voici quelques idées. Tu n’as pas besoin de toutes les faire. Parcours la liste et prends ce qui te parle :
- Bois un verre d’eau, même si t’as l’impression que ça changera rien
- Prends un objet avec une texture : une roche, une feuille, un tissu
- Mets une chanson qui ne te demande rien
- Dis ton propre nom. À voix haute. Deux fois
- Envoie un message à quelqu’un : juste “Salut, je suis là.” Même si tu sais pas quoi dire d’autre
- Pose ta main sur ton cœur et respire comme si t’étais en sécurité
- Ouvre une fenêtre. Laisse l’air toucher ta peau
- Garde cette page en favori ou prends une capture d’écran d’un bout qui t’aide
T’as pas besoin d’expliquer ce que tu vis. T’as pas besoin d’aller mieux tout de suite. Mais t’as le droit de rester. T’es pas trop. T’es pas pas assez. T’es là.
La désorientation suit aucune règle. Elle ne répond pas à la logique. Elle plie le temps. Essaie pas de la régler. Change ton rythme à la place.
Arrête-toi. Remarque. Réponds. C’est tout.
Allume quelque chose si tu veux : une chandelle, une lampe, l’écran de ton cell dans le noir.
Prends un objet qui te rappelle qui t’es.
Répète une phrase qui t’apaise. Tu peux en emprunter une :
Je suis encore là. Ce moment est réel. Je n’ai pas à aller ailleurs tout de suite.
T’as pas besoin d’aller vite. T’as pas besoin de bouger du tout. Reste avec toi un petit moment de plus.
T’es pas un problème à régler. T’es une personne qui essaie de revenir à elle-même.
Si tu te sens perdu·e, tu n’as pas échoué. Tu es en errance. Et même les cartes ont besoin de marges. Que celle-ci en soit une.
🔁 Ce n’est pas un temps qu’on peut mesurer
La guérison ne suit pas une ligne droite. Ce n’est pas une démarche en cinq étapes, ni un trajet fluide entre la rupture et la résolution. Elle ne récompense pas l’effort avec des résultats. Elle oublie. Elle revient sur ses pas. Elle dérive. Elle bégaie. Elle disparaît complètement, puis revient dans un souffle ou un rêve. Il y a des jours où tu auras l’impression d’avancer. D’autres où rien ne bougera du tout. Les deux sont valides. Aucun n’est un échec.
Ici, on honore le temps du corps. Le temps du trauma. Le temps du deuil. Le temps de la mémoire. Le temps d’exister avec un handicap dans un monde qui exige la performance. Le temps de la neurodivergence dans un système obsédé par le contrôle. Le temps de la folie, pas comme une crise à gérer, mais comme une forme de sagesse, un signal, une réponse à un monde insupportable. Ce ne sont pas des retards. Ce ne sont pas des erreurs. C’est le rythme lui-même.
Il n’y a rien à rattraper. Aucun état final à atteindre. Une partie de la guérison viendra en fragments. Une autre restera floue, impossible à nommer. Parfois, en surface, rien ne semblera changer, mais tout bougera à l’intérieur. Un souffle gardé un peu plus longtemps. Une sensation qui revient au bout des doigts. Une pensée que tu laisses passer sans t’y perdre. Un rire que tu croyais disparu de ton corps pour toujours.
Tu n’as pas à suivre la cadence des systèmes faits pour t’exploiter. Tu n’as pas à guérir selon une ligne du temps qui n’a jamais inclus ta survie. Le rythme de ton soin t’appartient. La lenteur n’est pas une faiblesse. Le délai n’est pas un dysfonctionnement. L’immobilité n’est pas un vide.
Ce cadre te fait confiance pour prendre le temps qu’il te faut. Pour t’arrêter. Pour t’égarer. Pour revenir. Ou pas. Pour tourner en rond sans honte. Pour recommencer d’une façon qui n’a de sens que pour toi.
Le temps ici n’est pas une mesure. Ce n’est pas un objectif. C’est un souffle, une dérive, un effondrement, un repos, un retour. C’est l’espace entre ce qui a eu lieu et ce qui pourrait encore devenir possible. C’est un temps non linéaire. C’est un temps sacré. C’est le tien.
🧶 Guérison relationnelle
Le mythe du soi isolé ne tient pas face à la vérité de nos histoires. Il s’effondre sous le poids du génocide, de l’esclavage, du colonialisme, de l’effondrement écologique et des violences constantes de la transphobie, de la queerphobie, du capitalisme racial et du carcéral. Ce que ces forces cherchent à effacer, nos liens les un·es aux autres, devient justement le socle même de notre survie. La guérison relationnelle commence par cette reconnaissance : nous ne sommes jamais simplement des individus gérant notre douleur seul·es. Nous sommes toujours en relation. Même quand c’est difficile. Même quand on nous a appris le contraire. Chaque moment de confiance, chaque acte de présence attentive tisse un fil dans la tapisserie plus vaste de la communauté. On se répare mutuellement non par des solutions, mais par la proximité, en restant quand le monde nous pousse à disparaître.
Imagine : toi et une personne en qui tu as confiance, assis·es près d’une fenêtre à minuit. La ville bourdonne doucement à l’extérieur. Tu dis une phrase sur ta journée, une phrase qui tremble de fatigue, peut-être même de peur. Tu n’as pas les mots pour tout dire, mais tu offres ce que tu peux. L’autre ne cherche pas à réparer. Iel ne se retire pas. Iel reste. Iel écoute. Son souffle ralentit pour rencontrer le tien. Sa présence ne te demande rien. Et dans ce silence, quelque chose change. Tu n’es plus seul·e. Non pas comme un problème à résoudre, mais comme une personne digne d’être portée. Voilà la graine de la guérison relationnelle. Pas une performance. Pas la perfection. Juste la présence.
La guérison relationnelle nous invite à construire des pratiques qui rendent cette présence durable. Elle nous demande de nous porter les un·es les autres, non seulement dans les crises, mais à travers les rythmes ordinaires de la vie. Une façon de commencer, ce sont les cercles de soutien dyadiques, des espaces simples et intentionnels pour le soin mutuel. Tu t’assois avec une personne de confiance. Peut-être que vous allumez une chandelle. Peut-être pas. Vous respirez. Puis l’un·e parle pendant deux minutes, sans interruption. Pas de solution. Pas de commentaire. Juste ton récit. L’autre reflète ce qu’iel a ressenti, pas le contenu, pas une analyse, seulement le pouls de ce qu’iel a entendu. Puis vous échangez les rôles. Puis vous respirez. C’est tout. Et pourtant, tout change. Avec le temps, ces cercles deviennent une forme de confiance incarnée, un langage partagé du soin qui ne repose pas sur l’expertise, seulement sur la présence.
Mais la guérison relationnelle ne se limite jamais à l’intime. Elle déborde. Elle s’infiltre dans les cuisines, les groupes de discussion, les cliniques, les cours d’immeubles, les frigos communautaires. On tisse des constellations d’affinité, des réseaux de soin basés sur l’intention et la réciprocité. Quand quelqu’un flanche, la toile s’active. Des lifts sont offerts. Des repas sont préparés. Un message arrive : « Je suis là. » Ce ne sont pas de simples gestes de bonté. Ce sont des refus organisés de laisser qui que ce soit s’effondrer sous le poids de la survie. Ce sont des continuités de soin. La preuve vivante qu’on n’a jamais à tout porter seul·e.
C’est comme ça qu’on dure. Pas en étant invulnérables, mais en partageant la charge. La guérison relationnelle nous dit une vérité que le monde cache trop souvent : tu n’étais jamais censé·e faire ça seul·e. Et tu n’as plus à le faire.
🎨 Pratique créative et incarnée
Quand les mots s’effilochent, c’est le corps qui prend la parole. Laisse-le faire. Toute connaissance ne naît pas dans l’esprit. Certaines vivent dans la tension entre tes omoplates. D’autres vibrent dans ton souffle, sans que tu t’en rendes compte. La sagesse ne vient pas seulement par la théorie ou les discours. Elle arrive par le mouvement. Par la création. Par le souffle. Nos corps sont des archives vivantes. Ils portent ce que les manuels ne peuvent contenir : le deuil transmis, les gestes ancestraux, les savoirs discrets de la survie légués quand les mots étaient trop dangereux ou déjà perdus. Faire confiance à cette connaissance créative et incarnée, c’est croire que tes doigts, ta gorge, la plante de tes pieds savent quelque chose de vrai.
Une manière de la rencontrer : la cartographie du deuil. Prends une feuille plus grande que ton corps. Commence à tracer le paysage émotionnel que tu habites. Utilise les couleurs comme un langage : rouge pour la rage, bleu pour la tristesse, jaune pour la joie inattendue. Dessine des rivières là où tes émotions circulent. Marque les montagnes où la douleur a pris racine. Place des étoiles sur les lieux où tu retournes pour te réchauffer. Puis choisis un médium : peinture, argile, danse, son, et entre dans une région. Façonne les sommets de ton chagrin avec tes mains. Laisse tes pieds tracer le manque sur le sol. Laisse ta voix créer un paysage sonore de survie. Il ne s’agit pas d’art. Il s’agit de trouver un langage quand les mots échouent.
Autre pratique : la prière incarnée. Pas la prière institutionnelle, mais une prière comme geste, comme répétition, comme attention sacrée. Tu peux t’agenouiller, osciller, trembler. Laisse ton corps écrire sa propre liturgie. Une main sur la poitrine peut signifier la mémoire. Un cercle lent du bassin peut dire le deuil. L’immobilité peut être une forme de résistance. Partagés en communauté, ces gestes deviennent des feux rituels, des rassemblements où la vérité se transmet non par les mots, mais par le souffle partagé et le rythme commun. Le soin circule non par les conseils, mais par la présence.
Mais cette forme de savoir ne vit pas que dans les moments sacrés. Elle est déjà là, dans le quotidien. Dans ta manière de brasser une soupe comme le faisait ta grand-mère. Dans le geste de replier un chandail comme on lisse un chagrin. Dans le rythme de tresser les cheveux de quelqu’un. Dans une chanson discrète en balayant le sol. Ces gestes contiennent la mémoire. Ils contiennent la résistance. Ils contiennent le soin. Et si tu prêtes attention, ils commencent à scintiller. Ils te rappellent que le savoir ne cogne pas toujours à la porte, parfois il attend.
Vivre ainsi, c’est honorer le corps non comme fardeau, mais comme enseignant. Comme prophète. Comme gardien des traces. Quand tu laisses ton corps guider, quand tu fais confiance à l’imaginaire pour créer du sens au-delà du dicible, tu reprends une forme de savoir qui n’a jamais disparu, seulement été enfouie. Ce n’est pas de l’indulgence. C’est de la survie. C’est de la mémoire. C’est un refus de laisser le monde décider ce qui compte comme connaissance. C’est ainsi qu’on commence à bâtir des futurs, non à partir de la domination, mais à partir du rythme, du rituel et de l’infini pouvoir du soin créatif.
🌱 Joie et plaisir comme résistance
Insister sur la joie dans un monde qui tire profit de ton épuisement est un acte de résistance. Quand les systèmes autour de toi exigent la productivité plutôt que la présence, la souffrance plutôt que la douceur, l’endurance plutôt que l’exubérance, la joie devient plus qu’une émotion passagère. Elle devient une stratégie. Une politique. Un rythme de rébellion.
Cette joie n’a pas toujours besoin d’être bruyante. Parfois, elle est discrète : un rayon de soleil sur ta joue à travers la fenêtre, l’odeur de la sauge et de l’herbe sucrée de ton territoire, une seule phrase dans une conversation de groupe qui fait retomber la pression dans tout ton corps. D’autres fois, elle explose : en danse, en rire, en peau contre peau. C’est le son d’une pièce remplie de survivant·es, riant non parce qu’iels ont oublié la douleur, mais parce qu’iels sont encore là.
Pratiquer la joie ne signifie pas nier le deuil ou la colère. Cela veut dire refuser qu’ils soient les seuls récits. C’est un acte d’équilibre : permettre à l’enchantement de prendre racine, même dans les ruines. C’est affirmer que tu es encore un corps capable de sentir, encore digne de douceur, encore autorisé à chercher le plaisir sans excuses. Quand on se rassemble, dans des sous-sols, des cours, des balls kiki ou sur les trottoirs, pour manger, rire, se soutenir, on fait plus que survivre. On invoque un autre monde. Un monde où la joie n’est pas un luxe, mais une leçon. Où le plaisir devient une forme de savoir, de mémoire, de geste vers le possible.
Intègre la joie à ton quotidien comme un rituel. Une danse pendant que tu cuisines. Un étirement qui devient bercement. Un moment seul·e avec ton souffle et une plante en fleurs. Ce ne sont pas des choses anodines. Ce sont des structures d’appui. Elles entraînent ton système nerveux à se rappeler que se sentir bien n’est pas une trahison. C’est un équilibre. La joie n’est pas une fuite. C’est un retour chez soi. Avec le temps, ces moments deviennent une mémoire musculaire. Une résilience qui ne s’appuie pas sur le stoïcisme, mais sur la sensation.
Ressentir pleinement n’est pas une distraction du travail : c’est le travail. Et quand on partage ces sensations, quand on rit dans la défiance, quand on tisse le plaisir dans notre rythme collectif, on commence à bouger autrement. On résiste non seulement par notre analyse, mais par notre vitalité. Ce n’est pas juste survivre. C’est une révolution.
🔥 Pratique abolitionniste
Si la guérison relationnelle est la terre, la pratique abolitionniste en est la graine. Elle pose cette question : comment construire des formes de soin à grande échelle ? Notre soin, pas seulement dans des moments, mais dans des systèmes. L’abolition ne consiste pas seulement à démanteler : c’est un engagement envers le travail lent et collectif de bâtir quelque chose de plus honnête, plus vivant, plus enraciné dans le soin. Elle commence par un refus : celui de croire que le tort doit être rencontré par la surveillance, l’enfermement ou l’exil. Elle pose d’autres questions. Et si le tort ouvrait la porte à une responsabilité collective plutôt qu’à une punition ? Et si la sécurité ne reposait pas sur le contrôle, mais sur une relation profonde ? La pratique abolitionniste nous invite à désapprendre la punition comme réflexe, et à nous demander plutôt : quelles structures peuvent contenir la douleur sans la reproduire ? Quels types de justice pourraient émerger si l’on renonçait à la vengeance ?
Ce changement ne commence pas dans les politiques publiques ni dans les slogans de manif. Il commence tout près. Avec nos ami·es, nos familles choisies, nos classes, nos boîtes courriel. La prochaine fois qu’un conflit surgit, une rupture de confiance, un moment de tort, et si tu faisais pause ? Et si tu choisissais de ne pas réagir par le blâme, le silence ou l’exil ? Et si tu déclarais une « pause réparatrice », une respiration partagée avant de parler honnêtement de ce qui s’est passé ? Vous pourriez vous asseoir en cercle, dans les DM, par terre dans la cuisine. Chacun·e partageant ce qui a blessé, ce dont iel a besoin, ce qui rendrait une réparation tangible. Pas comme performance. Pas pour avoir l’air vertueux·se. Mais pour préserver la possibilité d’un avenir commun.
L’abolition ne s’arrête pas au niveau interpersonnel. Elle s’incarne aussi dans les structures. Elle vit dans le travail des fonds communautaires de libération, qui sortent les gens de prison non pas parce qu’iels sont « innocent·es », mais parce que les cages sont toujours violentes. Elle vit dans les collectifs étudiants qui prennent soin les un·es des autres en santé mentale, là où l’université n’offre que des listes d’attente. Elle vit dans les programmes d’accueil post-incarcération, qui offrent un toit, de la nourriture, et une reconnexion culturelle à celleux qui ont été arraché·es à leurs communautés. Ce sont des infrastructures abolitionnistes, non pas naïves, mais lucides. Fondées sur cette vérité : la sécurité ne vient pas de la punition. Elle naît de la présence, de l’interdépendance, de la dignité partagée.
Au cœur de cette pratique, l’abolition n’est pas utopique. C’est un travail d’imagination sous pression. Elle te demande de concevoir du soin là où on t’a appris à attendre de la force. De faire confiance là où l’État t’a dit de te méfier. De rejeter le mensonge selon lequel la punition nous protège. L’abolition affirme qu’on peut inventer d’autres façons de répondre au tort : où la première personne appelée lors d’une crise est formée à accueillir la douleur sans l’aggraver ; où les quartiers sont tissés par la confiance mutuelle, pas par la surveillance ; où la justice signifie que personne n’est abandonné, peu importe ce qu’iel a fait ou traversé.
L’abolition est lente. Elle est imparfaite. Elle est sacrée. Et elle a besoin de nous tous·tes. Chaque fois que tu choisis la réparation plutôt que l’exil, la présence plutôt que l’évitement, la communauté plutôt que la conformité, tu la pratiques déjà. Tu construis déjà le monde que la logique carcérale disait impossible.
🎯 Clarté politique
Ton corps sait souvent bien avant que ton esprit ne comprenne. Il se crispe quand le pouvoir entre sans y être invité. Il se contracte sous le poids de choix impossibles. Il se souvient de ce que les institutions ont été conçues pour te faire oublier.
La clarté politique, ce n’est pas juste une affaire de théorie ou de débat. C’est l’acte d’écouter les alertes du corps et de les suivre jusqu’aux systèmes qui les ont produites. Cette boule dans la gorge quand le loyer augmente ? Ce n’est pas que de l’anxiété. C’est l’écho de l’injustice en logement, de l’extraction, du déplacement générationnel. Quand ta voix tremble dans une salle de réunion qui tolère à peine ta présence, ce n’est pas un manque de confiance. C’est l’héritage de l’exclusion. C’est le mépris du capitalisme pour la tendresse. C’est la blancheur qui garde les portes du pouvoir.
Pour cultiver cette clarté, commence par un journal structurel. Chaque fois que tu ressens une détresse — l’épuisement, la peur, la confusion — note-le. Pas comme une preuve d’échec, mais comme une information. Puis pose-toi la question : quels systèmes sont à l’œuvre ici ? Quelles structures façonnent ce moment en silence ? Peut-être que ton épuisement cohabite avec le vol salarial et le capacitisme. Peut-être que ton inconfort chez le médecin s’entrelace avec le racisme médical, les diagnostics coloniaux, la transphobie. Trace une ligne entre la sensation et la structure. Commence à voir tes symptômes non pas comme des défauts personnels, mais comme le refus de ton corps de normaliser la violence. Ce que tu croyais être une chute est peut-être une forme de résistance mal nommée. Ton corps essaie de dire la vérité depuis le début.
Cette pratique s’approfondit en communauté. Essaie les témoignages chronologiques. Rassemble-toi avec d’autres et retrace ta vie, non seulement à travers des souvenirs personnels, mais à travers des histoires partagées. Place ta première manif à côté d’une période d’expansion policière dans ta ville. Note quand tu as perdu ta stabilité en logement et relie ce moment à la vague de gentrification. Inscris l’instant où tu as cessé de parler ta langue maternelle en parallèle avec les lois ou les pressions d’assimilation qui ont rendu cette langue dangereuse. Ces chronologies révèlent un contexte commun. Elles montrent comment le deuil privé est façonné par les politiques publiques, comment nos luttes internes reflètent souvent la violence externe. Elles nous permettent de retracer la douleur non pas jusqu’à nous-mêmes, mais jusqu’aux forces qui l’ont façonnée.
La clarté politique devient une boussole. Elle dit : cette douleur n’est pas la tienne seule. Ce chagrin a une généalogie. Cette fatigue n’est pas un échec moral. C’est le poids des systèmes qui fonctionnent comme prévu. Mais la clarté ne fait pas que nommer ce qui est brisé. Elle nous aide à imaginer des réponses. Elle nous oriente vers l’entraide. Vers les réparations. Vers le refus structurel. La clarté ne rend pas les choses plus faciles, mais elle nous rend plus précis·es. Et dans cette précision, nos outils deviennent plus tranchants. On nomme le tort. On rejette le gaslight. Et on se rassemble pour dire : on n’a jamais imaginé tout ça. Maintenant, on s’organise.
🛑 Refuser, c’est aussi prendre soin
Tu n’as pas à dire oui à tout. Tu n’as pas à être disponible en tout temps. Tu ne dois à personne l’accès à ton énergie, ton histoire, ton corps ou ton attention. Dire non, ce n’est pas être égoïste. Ce n’est pas fuir. C’est dire la vérité. C’est une forme de soin.
Refuser de te surmener, c’est comment tu restes en vie dans un monde qui exige toujours plus. Te déconnecter, c’est comment tu retrouves ton souffle. Quitter une conversation, c’est comment tu protèges ton système nerveux. Ne pas répondre tout de suite, ou pas du tout, c’est parfois la seule façon de rester entier·ère. Ce ne sont pas des échecs. Ce sont des signes d’écoute. Ce sont des limites façonnées par l’amour, pas par l’absence.
Comme le rappelle Tricia Hersey, « Nous ne continuerons pas à offrir nos corps à un système qui a encore une dette envers nos ancêtres. » Le repos n’est pas de la paresse. Dire non n’est pas une trahison. Refuser, c’est un acte d’alignement avec celles et ceux qui nous ont précédé·es. C’est une façon d’honorer celles et ceux qui n’ont jamais eu le droit d’arrêter, de dire non, de protéger leur souffle ou leurs limites. On ne doit pas à ce monde notre épuisement. On ne lui doit pas notre disparition.
Ce cadre ne te demande pas d’être là tout le temps. Il ne s’attend pas à ce que tu sois présent·e quand tu es en train de te désorganiser. Il ne te pousse pas à donner quand tu n’as plus rien. Tu as le droit d’être incohérent·e. Tu as le droit de t’éloigner. Tu as le droit de te choisir, encore et encore.
Mais le soin, ce n’est pas seulement se retirer. C’est aussi rester en lien. C’est la tension et la tendresse d’exister ensemble. C’est imparfait. Ça glisse. Ça fait mal parfois. Ça nous appelle à être là, et parfois à rester même quand ça fait peur. Pas toujours. Mais parfois. Et on apprend à discerner quand c’est l’un ou l’autre, ensemble.
Le soin ne va pas que dans un sens. Ce n’est pas un service. Ce n’est pas quelque chose qu’on donne jusqu’à s’effondrer. C’est réciproque. Ça circule. Ça devient plus fort quand on respecte les besoins et les limites des autres. Quand on vérifie, qu’on revient, qu’on s’excuse sans y être forcé·e, et qu’on se pose des vraies questions sur ce que ça voudrait dire de rester ensemble.
La responsabilité, ici, ce n’est pas la punition. Ce n’est pas un script. Ce n’est pas de la surveillance. C’est chercher comment rester en relation après une rupture. C’est réparer ce qui peut l’être et faire le deuil de ce qui ne le peut pas. C’est reconnaître que le soin et la blessure peuvent coexister dans un même souffle et apprendre à porter les deux sans s’effondrer.
Refuser, c’est prendre soin quand ça protège ce qui est sacré en toi. Être responsable, c’est prendre soin quand ça protège ce qui est sacré entre nous. Aucun des deux ne devrait être utilisé comme une arme. Les deux sont nécessaires.
Tu n’as pas à tout faire parfaitement. Tu n’as pas à être tout pour tout le monde. Tu as le droit d’être humain·e. Tu as le droit de demander du soin et d’en offrir d’une manière vraie, soutenable, et fidèle à ce que tu es.
Que cet espace soit un endroit où les limites sont respectées, où les relations sont choisies, et où le soin n’est pas une transaction mais un rappel que l’on a encore besoin les un·es des autres, même quand c’est difficile.
🤲🏽 Humilité culturelle et spirituelle
Partout dans la diaspora, des peuples ont porté des chants à travers le feu, des prières à travers les océans, des rituels à travers le silence. Ce ne sont pas des artefacts. Ce sont des témoignages vivants, vibrants, de l’endurance. L’humilité culturelle et spirituelle nous invite à aborder ces pratiques non pas en touristes ou en quête de nouveautés, mais comme des futur·es parent·es spirituel·les. C’est un refus de traiter les traditions d’autrui comme du contenu pour sa propre croissance. C’est une discipline : écouter avant de parler, demander avant d’agir, arriver avec des offrandes plutôt qu’avec des attentes.
Commence par tes propres racines. Demande-toi : qu’est-ce que ton peuple chantait dans la douleur ? Qu’est-ce qu’on cuisinait quand quelqu’un tombait malade ? Quels récits les aîné·es murmuraient-ils au crépuscule, porteurs non seulement de sens, mais de survie ? Choisis un fragment qui vit dans ta lignée, aussi ténu soit-il. Prends-en soin. Apprends son rythme. Laisse-le te guider dans la manière dont tu te présentes ailleurs.
Puis, quand tu te sens ému·e par un rituel qui ne t’appartient pas, qu’il s’agisse d’un cercle de guérison, d’une cérémonie de tambours ou d’une prière dans une autre langue, fais une pause. Ne demande pas : comment puis-je intégrer ça ? Demande plutôt : qu’est-ce que je peux offrir ?
Commence une pratique d’échange de lignées. Pas un troc. Pas une fusion. Juste un partage. Juste une présence. Dis ce qui vit dans ta propre ligne, et invite les autres à faire de même. Pas pour une performance. Pour la relation.
En communauté, cette pratique devient une cérémonie entremêlée. Pas une fusion. Pas un effacement. Mais une co-présence. Imagine une poésie palestinienne qui résonne aux côtés d’un tambour caribéen. Imagine une cérémonie de l’eau menée par des personnes bispirituelles, aux côtés d’un autel diasporique en construction. Chaque tradition reste distincte. Chaque voix porte son propre rythme. Ensemble, elles composent une chorégraphie—non pas pour l’esthétique, mais comme cartographie de solidarité. Une déclaration que nos survies sont liées.
L’humilité culturelle et spirituelle ne relève pas seulement de la révérence. Elle exige une responsabilité. Celle de prendre soin du sacré sans le saccager. D’honorer la différence sans exiger l’accès. De laisser la guérison circuler entre les lignées, à travers les frontières, dans la tension comme dans la confiance. Et ce faisant, on ne participe pas seulement à la réparation—on commence à façonner des cérémonies assez puissantes pour porter l’avenir.
🌿 Le soin comme infrastructure
Avant de penser le soin à grande échelle, rappelons-nous les formes les plus infimes qu’il prend déjà autour de nous. Le soin refuse d’être figé. Il prend mille formes—il se transforme pour épouser les contours du besoin, il s’insinue dans les creux que le monde a oubliés de tenir. Parfois, c’est un·e ami·e qui arrive avec une tisane au gingembre quand ton corps cède. Parfois, c’est de l’infrastructure : un réseau d’entraide qui organise des transports pour les aîné·es, un frigo communautaire rempli par des voisin·es qui donnent ce qu’iels peuvent. Parfois, c’est une douceur subversive : un canal chiffré qui relie des inconnu·es à des pair·es en cas de crise, ou un collectif de guérison qui offre des plantes médicinales et des soins corporels dans une pièce tapissée de courtepointes, de chandelles et de mémoire. Le soin habite aussi les recoins silencieux—une affiche dans les toilettes qui explique comment demander de l’aide, une playlist nommée pour quand c’est trop, transmise de main en main comme un remède.
Ce n’est jamais juste de la gentillesse. C’est de l’architecture. C’est un refus. C’est l’acte délibéré d’imaginer un monde où moins de gens tombent dans les failles.
Commence là où tu es. Observe le soin qui circule déjà autour de toi : la personne qui tient la porte quand tes bras sont pleins, le groupe de discussion qui répond au deuil avec des mèmes, le voisin qui prend de tes nouvelles sans raison apparente. Ces gestes font des vagues. Note-les. Étudie leur fréquence, leur intensité, leur douceur. Demande-toi : qu’est-ce qui leur donne cette sensation de soin ? Qu’est-ce qui les rend durables ? Puis demande encore : comment puis-je les reproduire sans en faire une performance ? Comment donner sans attendre de remerciement ? Comment recevoir sans m’excuser ?
Le soin n’est pas un service. C’est une chorégraphie d’interdépendance. Il nous invite à devenir les élèves des besoins des autres. À rester présent·es même quand on ne peut pas réparer. À bâtir des systèmes qui se souviennent de ce que ça fait d’être laissé·e tomber. Et si on le fait bien, le soin cesse d’être l’exception. Il devient le rythme de nos vies. Une pulsation. Une promesse partagée : je veille sur toi. Veillons les un·es sur les autres.
🪞 Invites à la réflexion
Dans le calme entre les vagues, reviens à des questions qui ne cherchent pas de réponses immédiates, mais qui ouvrent des chemins. Laisse-les s’asseoir à côté de toi comme des compagnes de confiance : elles observent, murmurent, déroulent.
Quel a été le premier moment où tu as ressenti le pardon plutôt que la honte ?
Suis ce souvenir avec douceur. Qui te l’a offert ? Qui est resté assez longtemps pour te voir au-delà de tes erreurs ? Quels gestes t’ont permis de te sentir entier·e à nouveau ? Réfléchis à comment offrir cette même présence aujourd’hui, pas comme une mise en scène, mais comme une pratique.
Pense à un geste politique que tu as posé sans le savoir.
Peut-être que c’était porter ce qui te fait te sentir beau·belle dans un espace qui punit la joie. Peut-être que c’était choisir de te reposer alors que tout te pressait de continuer. Qu’as-tu protégé dans ce refus ? Quelle vérité as-tu affirmée ?
Imagine une cérémonie à venir : une que tu dirigeras pour honorer la survie.
Pas seulement la tienne, mais celle de tes proches, de ta lignée, de ton peuple. Quels symboles rassembleras-tu ? Quelles paroles seront prononcées à haute voix, et lesquelles vivront dans le souffle entre elles ? Y aura-t-il du chant, du silence, du mouvement ? Laisse venir la vision. Laisse-la t’apprendre le genre de monde que tu es en train de bâtir.
Plonge dans ta lignée.
Nomme une résistance transmise : une personne, un rituel, une histoire, un son. Laisse son rythme te guider. Que pourrais-tu faire aujourd’hui — en cuisinant, en écrivant, en prenant soin, en refusant — pour honorer cet héritage ?
Ce ne sont pas des tâches. Ce sont des seuils. Non pas des destinations, mais des passages. Chacun est une invitation à approfondir ton intimité avec la survie, à nourrir les racines qui t’ont façonné·e, et à écrire le prochain chapitre du soin collectif avec intention, respect et feu.
📚 Continuer ensemble
Ce cadre n’est pas une fin. C’est un seuil. Une ouverture vers une constellation de pratiques qui partagent une même vérité : le soin n’est pas un luxe. C’est un acte collectif de résistance.
Si tu portes quelque chose de tendre ou d’inachevé, tu peux commencer par une séance individuelle—un espace où tu n’as pas besoin de te justifier, où ta seule présence suffit. Peut-être que c’est plutôt un cercle de pair·es qui t’appelle, un espace ancré dans le rituel, où les histoires résonnent et où la solidarité se ressent, au-delà des mots. Peut-être que tu veux te connecter à des réseaux d’entraide qui remplacent l’extraction par la réciprocité, en bâtissant des structures où les besoins sont accueillis sans honte ni barrières. Et si ton élan est plus intellectuel, spirituel ou spéculatif, il y a les cercles de lecture—là où la pensée afropessimiste rencontre la praxis abolitionniste, et où l’imagination queer ne sert pas de parenthèse mais de carte.
Quel que soit le chemin, rappelle-toi ceci : tu n’étais pas censé·e faire ça seul·e. La survie n’est pas un exploit individuel. C’est un fil tissé à d’autres, un geste parmi d’autres, dans une tapisserie vivante de résistance. Chaque fois que tu tends la main, que tu tiens l’espace, que tu reviens, tu aides à garder le feu allumé.
Si ce guide a résonné en toi, partage-le. Parle-en. Reviens-y quand tu en as besoin. Laisse-le allumer quelque chose—une conversation, un rituel, une décision. Il n’est pas fait pour rester figé. Il est fait pour être vécu.
Tu arrives au bord de ces pages, mais pas au bout de ce que tu es en train de devenir. Reviens autant de fois qu’il le faut. Relis. Réécris. Ritualise. Ce document vit parce que toi, tu vis. Et la survie, quand elle se partage, devient plus que ça : elle devient une pratique. Elle devient une promesse.
Et tu portes déjà la preuve.
✍🏾 Note d’auteur
Ce cadre n’a pas été écrit à distance de la tempête. Il a pris forme en plein cœur de celle-ci, dans les répercussions de la trahison, dans la dignité discrète de la survie, dans le désir de mondes qui n’existent pas encore. Il s’ancre dans ma vie de personne noire et queer, marquée par les violences de la rupture familiale, des blessures cliniques, et de l’effacement institutionnel. Mais aussi portée, soignée, rendue possible par le travail sacré et quotidien de la communauté. Je n’écris pas depuis un ailleurs lointain. J’écris à côté de toi.
Ce n’est pas un contenu à consommer ni un programme détaché du réel. Chaque mot est enraciné dans des relations : avec la terre, avec mes lignées, avec les personnes noires, queer et trans qui m’ont accompagné·e dans des deuils indicibles et des joies profondes. Ce travail s’inspire de la praxis abolitionniste, de la pensée afropessimiste, de la théorie féministe noire et des pratiques incarnées issues du ballroom. Il est façonné par des années de vie comme travailleur social et survivant·e, par le refus des structures qui ne nous ont jamais été destinées, et par le choix constant de bâtir quelque chose de plus libre, dans les marges.
Ce cadre porte des engagements clairs. Il affirme que le soin ne peut être dissocié de la justice. Que la guérison n’exige pas l’effacement de la colère. Que l’amour n’est pas une forme de soumission. Il s’exprime avec les mots et les rythmes de mes communautés, et il n’a jamais été pensé comme universel. Si quelque chose ici résonne en toi, accueille-le avec respect. Cite tes sources. N’extrais pas ce qui ne t’appartient pas. Et si tu utilises ces idées dans ton propre travail, fais-le avec intégrité. Pas comme métaphore, pas comme esthétique, mais comme pratique vivante.
Il se peut que ce texte se contredise parfois. Ce n’est pas une erreur, c’est une vérité. Vivre, guérir, prendre soin n’est jamais un processus linéaire. On oublie. On change. On se trompe. Et pourtant, on continue. Ce document est vivant. Il est fait pour évoluer avec toi, pour être questionné, déconstruit, repris. Tu n’as pas à être d’accord avec tout. Ce que je t’invite à faire, c’est entrer en dialogue.
Qu’il ouvre un espace. Qu’il accompagne sans imposer. Qu’il vive aux côtés de tes propres traditions, sans prétendre les remplacer. Et surtout, qu’il soit accueilli avec le même soin dans lequel il a été écrit : nourri par la survie, façonné par le refus, tendu vers le possible.
Si quelque chose te parle ici, emporte-le avec toi. Laisse-le s’adapter, respirer, se transformer. Mais surtout, laisse-le vivre.
Avec soin,
Vincent Mousseau
🛡️ Comment partager ce travail avec intégrité
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Le soin n’est pas neutre. Ce travail non plus. Qu’il circule avec intention.